Le 21 septembre dernier, les Annales historiques de la Révolution française ont célébré au Panthéon un anniversaire que la plupart des médias
ont soigneusement passé sous silence : les 220 ans de la proclamation
de la Ière République française. Une République qui fut établie
par un peuple en révolution, au prise avec les monarchies européennes coalisées et devant répondre aux immenses espérances
d’une société insurgée contre le vieux monde féodal.
C’est de la tourmente populaire qu’émerge cette République le 21 septembre 1792. La Révolution connaît alors une puissante accélération. Les contradictions de l’ancien régime, où la noblesse et clergé représentent 3 % de la population mais concentrent tous les privilèges fiscaux, s’accentuent. Cependant, le Tiers-Etat, bloc sociologiquement majoritaire, demeure très hétérogène sur le plan social. La montée d’une nouvelle bourgeoisie rend caduque une quelconque solidarité de classe en son sein. Les paysans constituent l’immense majorité et, même s’il y a des différences notables entre les riches laboureurs et les métayers proches de la condition des serfs, leurs revendications n’ont rien à voir avec celles de la bourgeoisie qui émerge déjà comme une classe en soi consciente de ses intérêts. Sa montée en puissance sur le plan économique est, sur le plan politique, entravée par le carcan féodal. Les paysans réclament l’égalité fiscale tandis que les bourgeois s’érigent déjà en future classe dominante. Au même moment, le régime de Louis XVI doit faire face à une grave crise financière. Il faut trouver de nouvelles recettes fiscales pour remplir les caisses de l’Etat dont le premier budget est le remboursement de la dette…
Un régime né de l’insurrection populaire
Pour dénouer un débat explosif, Louis XVI convoque des Etats généraux à Versailles en mai 1789. Qui va payer pour rembourser la dette ? Les ordres privilégiés entendent une fois encore pressurer le Tiers-Etat dont les composantes les plus pauvres sont déjà dans une situation sociale catastrophique. Lors de l’ouverture des Etats généraux, les députés du Tiers-Etat refusent les nouvelles taxes épargnant les nobles et le clergé et se proclament Assemblée nationale constituante. Représentant plus de 97 % de la population, ils sont les plus légitimes à refonder les institutions du pays. La situation aurait pu en rester là sans l’irruption du peuple. Inquiet pour les premiers acquis de la Révolution, le peuple de Paris attaque la Bastille le 14 juillet pour y récupérer des canons et de la poudre. Dans toute les grandes villes du pays, des communes se forment et s’érigent en nouveau pouvoir populaire. Les campagnes ne sont pas en reste et, dès la fin du mois de juillet, une vive agitation y règne. Des rumeurs de complot aristocratique, ajoutées à des disettes locales, provoquent une révolte généralisée des paysans contre les seigneurs : c’est la « grande peur ». Les châteaux sont attaqués et les documents sur lesquels sont énumérés les droits féodaux détruits. Le rapport de force en faveur des classes populaires est tel que l’assemblée décide, lors de la célèbre nuit du 4 août 1789, de mettre fin aux privilèges ! L’égalité devant la loi et l’ensemble des droits nouveaux obtenus sont gravés dans le marbre de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Ces quelques avancées en faveur du peuple entraînent les nobles à quitter la France et à comploter contre la Révolution. En 1790 et 1791, la situation semble se stabiliser et une nouvelle constitution est mise en place. Le roi est maintenu, une assemblée législative est désignée au suffrage censitaire mais sa capacité d’initiative est entravée par le droit de veto octroyé à Louis XVI. Le mouvement populaire commence à s’organiser dans les clubs révolutionnaires, véritables lieux de formation politique. Dans le même temps, la contre-révolution envisage l’appel aux monarchies européennes pour rétablir l’ordre ancien. Après sa fuite avortée à Varennes en juin 1791, le double jeu du roi éclate. Une partie des représentants à la Législative tombe dans le piège tendu par la réaction en défendant la guerre contre les monarchies d’Europe pour y exporter la liberté. L’un des seuls à dénoncer cette folie est Robespierre, pour qui les peuples n’aiment jamais les missionnaires armés. Malgré ces mises en garde, et sous l’influence de l’entourage du roi, la France déclare la guerre à l’Autriche le 20 avril 1792. Les premiers combats sont un désastre. Confronté à l’approfondissement de la crise sociale et directement menacé d’invasion par les armées prussiennes de Brunswick, le peuple des faubourgs attaque les Tuileries le 10 aout 1792. Louis XVI est arrêté et des élections sont convoquées. La Convention nationale est élue au suffrage universel masculin au début du mois de septembre. Le 20 septembre, parvenant à redresser la barre sur le plan militaire, l’armée française remporte une retentissante victoire à Valmy. Le lendemain, lors de sa première séance, la Convention vote la déchéance de la royauté et, à partir du 22 septembre, tous les actes sont datés an I de la République.
L’œuvre sociale et démocratique de la République
La Convention doit faire face à d’immenses défis : défendre la Révolution contre ses ennemis intérieurs et extérieurs tout en répondant à la soif de justice des masses populaires. Les Girondins, représentants d’une fraction bourgeoise modérée, ne sont pas à même d’offrir un cap victorieux. Ils écartent toute intervention de l’Etat dans le domaine économique et refusent de céder aux sans-culottes parisiens des mesures contre les spéculateurs. L’aile droite de la Convention, d’abord alliée aux centristes de la Plaine, ne comprend pas que la Révolution doit s’appuyer sur le peuple pour briser les nombreux obstacles qui s’opposent à elle. Prenant justement appui sur le mouvement sans-culotte, les Montagnards renversent la Gironde et s’emparent du pouvoir en juin 1793. Ce sont aussi des bourgeois mais ils sont comprennent l’intérêt vital d’une alliance avec les classes populaires pour consolider la République. Un comité de salut public s’installe et décide de mesures exceptionnelles conduisant à l’ajournement de la Constitution la plus démocratique de notre histoire. Votée à l’été 1793, fruit du rapport de force né de l’insurrection de juin, elle instaure une Assemblée parlementaire unique avec un mandat d’un an et un exécutif collectif écartant toute personnalisation du pouvoir. Les Conventionnels lui adjoignent une nouvelle déclaration des droits complétant celle de 1789. Elle proclame que le but de la société est le bonheur commun et élève l’insurrection au rang de droit et de devoir sacré ! Cette Constitution est suspendue au profit d’une Terreur révolutionnaire rendue nécessaire pour ceux qui veulent que la Ière République vive. Pour répondre aux revendications des sans-culottes, la loi du Maximum est mise en place tandis que les résultats militaires de la Terreur sont spectaculaires. Les ennemis de la révolution sont partout mis en déroute au printemps 1794. L’esclavage dans les colonies est aboli par la Convention en mars 1794 après des révoltes d’esclaves. Cependant, ces succès sont gâchés par une tendance au repli du comité de salut public qui, en écartant violemment les proches de Hébert puis de Danton, se coupe du mouvement populaire et glace la révolution. La chute de Robespierre et de ses amis en juillet 1794 clôt la période où le peuple est au centre de la vie politique et voit aussitôt le retour d’une assemblée bourgeoise, ouvrant la voie au coup d’Etat bonapartiste de 1799.
Défendre la Révolution
Une tradition historiographique progressiste, issue des travaux de Jaurès et Albert Mathiez, a longtemps été hégémonique dans les milieux universitaires. Prolongée par Albert Soboul, Michel Vovelle et tous les historiens de la société d’études robespierristes, cette école historique puise aux sources marxistes pour montrer que la destruction de l’ordre féodal était le premier jalon conduisant à l’émancipation du prolétariat. Cette interprétation a été contestée à partir du milieu des années 1960 par François Furet et Denis Richet. Dans leur ouvrage la Révolution française, les deux historiens mettent en avant un soi-disant « dérapage » de la révolution après 1791. La République et le mouvement populaire de l’an II sont, pour eux, la face sombre de la Révolution qu’il faut résolument écarter. Furet poursuit son travail de sape en publiant en 1978 Penser la Révolution où il s’en prend au catéchisme révolutionnaire jacobin. Le contexte intellectuel, alors dominé par l’apparition médiatique des nouveaux philosophes à la BHL, est favorables aux idées révisionnistes tendant à faire de la période révolutionnaire la mère des totalitarismes du XXème siècle. Puissamment relayé par une presse complaisante, cette offensive en règle connaît son apogée lors du Bicentenaire de 1989. La dimension radicale et sociale de la Révolution est édulcorée tandis que les évènements de 1792 et 1793 passent complètement à la trappe. Loin de rendre les armes, les historiens progressistes continuent leurs travaux et parviennent, depuis une dizaine d’années, à reprendre peu à peu la main sur leurs adversaires libéraux.
Pour nous, militants syndicaux qui cherchons une issue émancipatrice à la crise du capitalisme, la période révolutionnaire reste une source d’inspiration. Défendre la Révolution de 1789 et 1793 pour ouvrir un chemin vers les révolutions du XXIème siècle : voilà notre objectif.
Julien Guérin