PAR LOÏC FABIEN, STÉPHANIE RIO, CHRISTELLE TALBOT, MILITANT-ES ÉÉ FSU-SNUIPP, ET LE GROUPE DÉPARTEMENTAL ICEM 76
Depuis près d’un siècle, plusieurs mouvements pédagogiques, dont l’Institut coopératif de l’école moderne (Icem) — pédagogie Freinet, s’attachent à donner du sens au métier. Regards croisés sur l’école d’aujourd’hui.
Amer constat à la rentrée… Les vacances d’été sont à peine terminées et pourtant, dans les écoles, l’ambiance devient vite pesante. La dure réalité des injonctions hiérarchiques nous assomme : évaluations nationales ; évaluations d’école ; réunions sur réunions ; tableaux à remplir ; et des chiffres, des cases, des croix… Quel temps perdu ! Quel sentiment d’insatisfaction ! Les rails dans lesquels l’institution nous contraint placent l’enfant loin, très loin de nos préoccupations d’enseignant-es. Le temps commun dont nous avons besoin pour faire notre travail, pour nous le réapproprier collectivement, nous est alors confisqué.
Notre bulle d’oxygène, c’est le groupe départemental de l’Icem-pédagogie Freinet. Nous nous retrouvons une fois par mois dans les classes des copains et copines et nous échangeons sur nos pratiques, nous réfléchissons à la façon de résister, nous nous questionnons sur notre vision de l’école. C’est un vrai collectif de travail qui nous protège et nous aide à affirmer, dans nos pratiques
« En créant, les élèves apprennent, sont au travail et ne sont pas de simples exécutant·es. Les textes, poésies, productions plastiques… toutes seront utilisées, valorisées au travers d’une communication ou d’un projet, pédagogiques, d’autres façons d’envisager la classe que celles qu’on voudrait nous imposer. C’est un vrai collectif de travail pour oser résister et se sentir libre d’enseigner… libre de nous exprimer.
La danse, activité d’expression libre
L’expression libre est un pilier central de la pédagogie Freinet. Nous nous attachons, avant tout, à placer l’élève au centre du système, à le rendre auteur et autrice au travers d’activités qui lui permettent de s’approprier son moyen de s’exprimer, de se révéler, de construire son chemin de pensée. En créant, les élèves apprennent, sont au travail et ne sont pas de simples exécutant-es. Les textes, poésies, productions plastiques… tout sera utilisé, valorisé au travers d’une communication ou d’un projet, ce qui engendre la motivation.
La danse est un moteur d’expression. Elle permet à l’enfant de s’emparer d’une autre façon de s’exprimer, d’extérioriser ses idées, ses émotions, son imagination. Au travers de cette pratique, l’enfant apprend la confiance en soi et l’acceptation du regard de l’autre (par une présence corporelle plus ou moins proche, par un regard).
Dans ma classe de CP/CE1, tous les mardis, nous commençons la journée par une heure de danse. C’est un moment très attendu dans la classe!
C’est peut-être une solution pour supporter, pour détourner tous les empêchements à exercer notre métier comme on le pense : s’autoriser, à nouveau, à prendre du plaisir à être en classe.
Rapidement, nous enlevons nos chaussures et en cercle, nous recouvrons notre corps d’une peinture de danseur et danseuse. Ainsi, nous installons les conditions favorables pour que l’enfant se sente en confiance, qu’iel ose s’exprimer en toute sécurité. Nous devenons un et une dans un groupe. Les codes de l’école favorisent les enfants qui les maîtrisent, qui savent anticiper les attendus. Ici, ils laissent la place à la coopération. Chacun, chacune peut être mis en lumière car il et elle osera se lancer, n’aura pas peur de se tromper. Le cadre installé, nous nous approprions l’espace au travers de jeux. Nous explorons la créativité des enfants à partir d’objets, d’images, de textes, de mots, d’actions, de musique. Nous enrichissons les réponses des enfants en leur proposant divers procédés de composition ( à l’unisson, en canon, en miroir, en répétant…) Et là, le désir de faire ensemble nous anime ! Nous avons repoussé l’obstacle du « je ne sais pas » et les vraies questions (par exemple comment j’écris une phrase chorégraphique ») apparaissent.
L’enseignant·e doit être là pour observer, guider, mettre en lien des élèves, enrichir, rapprocher des idées. Iel est là pour organiser ce fourmillement de propositions et favoriser l’émergence de toutes les expressions du groupe en respectant chaque individu.
C’est au travers de ces activités que nous nous rendons compte de ce que les élèves construisent.
La classe du dehors : tou·tes ensemble !
En sortant de l’école, l’enfant s’affranchit des barrières imposées par le cadre (contraintes physiques liées à l’espace et aux règles de vie de l’établissement) mais également celles existant entre les élèves.
Dehors, les inégalités s’effacent : les compétences scolaires ne sont plus les seules à être mobilisées, d’autres sont mises en lumière.
Ainsi l’élève moins scolaire trouve sa place et se révèle. Un nouvel équilibre se construit entre les élèves. Une horizontalité s’installe, y compris avec l’adulte qui apprend aussi en même temps que ses élèves.
« Dehors, on est tous ensemble et on apprend tous ensemble » disait ainsi Sarah, élève en CE1.
Les regards portés par les un·es sur les autres changent. Chacun·e éprouve l’environnement, expérimente, tâtonne et se construit.
À travers toutes ces expériences, l’enfant apprend à mieux se connaître et prend confiance en lui. Il ou elle ose de plus en plus et l’expression se libère.
C’est ainsi que chaque lundi matin depuis quatre ans, nous quittons notre salle de classe.
Bien souvent, nous nous rendons dans un bois situé à 30 minutes de marche.
Mais il nous arrive aussi d’aller dans d’autres endroits du quartier.
Sur la route, la parole est très présente : les élèves ont du temps pour se raconter leur week-end et cela permet une reprise en douceur.
Ensuite vient le temps libre. Une fois sur place, après le rappel des règles principales pour vivre ce moment sereinement, chacun·e est libre de choisir l’activité vers laquelle il ou elle
souhaite aller : construction de cabanes, recherche de vers de terre, jeux avec la boue, observation avec les jumelles, escalade avec la corde, peinture…
À la fin, chacun·e est invité·e à s’exprimer sur ce qu’il a pu découvrir ou réaliser.
Et cela peut constituer une piste à exploiter pour l’ensemble de la classe. Au fil de ces sorties, les relations changent, une histoire commune se crée, la classe s’estompe et un groupe naît.
Transformer l’école pour transformer la société, une utopie ?
Les enseignant·es s’inscrivant dans ce mouvement sont des militant·es, que ce soit dans l’école par leurs pratiques pédagogiques ou à l’extérieur. Ils et elles cherchent à construire une école émancipatrice, démocratique et populaire, qui va de pair avec la lutte pour la défense du service public, la résistance aux injonctions hiérarchiques, aux idées d’extrême droite… Peu importe comment on s’y prend pour sortir du carcan dans lequel les politiques éducatives managériales nous enferment, l’essentiel est notre réflexion sur notre profession qu’il faut mettre en avant.Nous savons faire : faisons nous confiance, retrouvons nous tous et toutes ensemble pour construire les mobilisations nécessaires et reprendre la main sur notre métier. ■
Site de l’Icem :
https://www.icem-pedagogie-freinet.org/
