Ukraine, la société civile se mobilise

PAR ROBI MORDER

Pendant que Trump et Poutine négocient le sort du pays, la jeunesse ukrainienne lutte à la fois contre la Russie et contre la corruption dans le gouvernement.

L’exclusion du principal intéressé, l’Ukraine, du sommet de l’été, en Alaska, atteste de la volonté des deux puissances de s’entendre sur le dos du peuple ukrainien. Au mépris du droit international, Trump a affirmé qu’un règlement de la guerre comprendra des concessions avec des « échanges de territoires ». Seuls les territoires ukrainiens étant occupés par la Russie, on voit mal de quel échange il s’agirait!

Les péripéties avec les ultimatums lancés contre Poutine et non suivis d’effets confirment la volonté de Trump de se dégager dans les meilleures conditions (pour lui), tout en profitant des « bonnes affaires » possibles, comme la transformation des dons de matériel militaire en ventes, au mépris du droit international. C’est valider les occupations et la loi du plus fort sans tenir compte de la volonté des peuples exerçant leur souveraineté. C’est un enjeu qui dépasse l’Ukraine, mais dont l’Ukraine est une clé de voûte.

Poutine a trouvé en Trump un de ses messagers, et ce n’est pas le seul. Malheureusement à gauche aussi le récit poutiniste est parfois repris, attribuant la responsabilité de l’invasion de l’Ukraine, non à l’agresseur lui-même, mais aux provocations de l’Occident. Pour Trump, ce sont Biden et Obama les fauteurs du conflit, pour d’autres c’est uniquement l’Otan, les manifestations de Maïdan en 2014 étant réduites à un complot prémédité comme si le mouvement des masses était incapable de se mettre en action de lui-même. Poutine, Trump, et malheureusement Jean-Luc Mélenchon maintenant, dénoncent Zelensky comme illégitime faute d’élections initialement prévues en 2024. Doit-on rappeler les conditions de la guerre – déplacements, exil de millions de personnes, occupation de 20 % du territoire ? On a pu voir en France, en 1870 comme en 1914-1918, le report des élections. Et aujourd’hui, l’absence d’élections à Gaza et en Cisjordanie depuis 2006, n’enlève en rien la solidarité avec la lutte du peuple palestinien.

Une société civile, un mouvement social en action

Qu’en disent et que font les Ukrainien es ? Iels luttent, contre les troupes de Poutine et aussi contre les politiques libérales de leur propre gouvernement, contre la corruption qui handicape la défense du pays. Des associations, syndicats, partis existent, agissent, y compris devant les tribunaux et obtiennent des victoires. Dans la presse, on débat de la situation, on critique la politique gouvernementale, y compris ses aspects militaires – et l’on n’est pas incarcéré, jugé, condamné pour autant, contrairement à ce qui se passe en Russie. Le régime de Poutine n’est guère attractif de ce point de vue, y compris pour les russophones. Les journées de juillet ont démontré qu’en Ukraine, la société est capable de mettre son qouvernement sous contrôle. On n’a pas assez insisté sur cette victoire exemplaire et elles sont pourtant plutôt rares en Europe aujourd’hui. Début juillet 2025, le vote par la Rada (le Parlement) d’une loi mettant les organes indépendants anticorruption sous l’autorité du Procureur, c’est-à-dire du gouvernement, a mis le feu aux poudres.

Du 22 au 25 juillet, des manifestations se sont tenues dans une quinzaine de grandes villes et de multiples bourgs et même villages. Les observateur·trices ont noté une très forte participation de jeunes qui, dans de nombreux endroits, ont structuré les cortèges.

Même l’UAS a appelé les jeunes « à ne pas rester à l’écart », reflet de la pression de la base et de l’état de l’opinion étudiante [voir encadré]. À l’Université nationale Taras Shevchenko de Kiev, a été publiquement annoncé un boycott contre deux enseignantes et députées, Lesia Zaburanna et Lyubov Shpak, qui ont soutenu le projet de loi

Comme le disaient des manifestant·es: « Le pays va dans la mauvaise direction, c’est pourquoi les gens descendent dans la rue pour le remettre sur la bonne voie.» Ou encore: « If est important pour nous de vivre dans un État de droit. La corruption détruit le pays de l’intérieur, alors qu’on essaie déjà de le détruire de l’extérieur.»

Bien que la loi martiale interdise les manifestations en temps de guerre, elles ont eu lieu sans empêchement par la police. Et surtout, la revendication de retrait de la loi déjà votée a été satisfaite, une nouvelle loi confirmant l’indépendance de l’organe anticorruption. Certes, il y aura d’autres tentatives, d’autres atteintes mais le fait est qu’il faut compter avec la mobilisation de la société.

La solidarité internationaliste aussi se joue sur les deux aspects, pour donner les moyens au pays de repousser l’invasion et de mettre fin à l’occupation, pour soutenir le mouvement social ukrainien dans ses luttes nationales et sociales.

PRIAMA DIIA, UN SYNDICALISME ÉTUDIANT DE COMBAT

Le mouvement étudiant ukrainien est structuré d’une part par l’Union des associations d’étudiants d’Ukraine (UAS) très institutionnel et « apolitique », centré sur la stricte défense des étudiant·es, présent auprès des autorités nationales, et représentant les étudiant·es d’Ukraine auprès de l’European Students Union (ESU), d’une part, et d’autre part par des groupes, comités, mouvements de gauche plus dispersés et à la vie plus cyclique. En 2023, à la suite de mobilisations, des militantes ont refondé le syndicat étudiantPriama Diia(Action directe) qui vient de tenir son troisième congrès, fin août. Leur orientation illustre la situation du mouvement syndical et social du pays, la lutte sur deux fronts, contre l’envahisseur et contre les politiques libérales du gouvernement Zelensky. Plusieurs batailles ont été menées. Citons la lutte contre la fermeture de l’Académie de typographie de Lviv, engagée avant l’invasion et qui a continué, sur les réparations et ouvertures des cantines, des dortoirs universitaires dont beaucoup ont été bombardés.

Début juillet 2025, la nomination d’Andriy Vitrenko au ministère de l’Éducation a soulevé des protestations. Cette personnalité politique. qui est aussi président du groupe Serviteur du peuple au conseil municipal de Kiev, est accusée de plagiat et a surtout été impliquée dans des affaires de corruption. Même des organisations modérées – principalement l’UAS – ont appelé à une manifestation de rue (en principe interdites avec la loi martiale) les 14 et 15 juillet pour obtenir sa destitution. Priama Diia, à appelé à manifester aussi, précisant : « nous sommes convaincus que l’amélioration de l’éducation moderne ne réside pas dans la recherche du candidat « idéal » pour occuper ce poste [mais] sur le fait que la voie vers une meilleure éducation passe par des changements systémiques décisifs, notamment en matière de lutte contre la commercialisation et la hureaucratisation de l’éducation » Le rassemblement s’est tenu et le nouveau gouvernement formé le 17 juillet a écarté.

ANDRIY VITRENKO

POUR ALLER PLUS LOIN

Page Facebook du Comité français du Résu (Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine). Les journées de juillet : voir le site de Syllepse. Solidarité avec l’Ukraine résistante (41 numéros sortis). Sur les universités et étudiant·es en Ukraine ou en Russie, voir articles sur le site du Germe.