Étendre la protection sociale- un combat d’actualité

PAR ÉMILIE MOREAU

La protection sociale est souvent présentée comme un « conquis social », mais derrière ces mots se cache une réalité essentielle de solidarité. Elle regroupe un ensemble de mécanismes permettant aux individus et aux ménages de faire face aux risques sociaux, c’est-à-dire à des événements susceptibles d’entraîner une perte de revenus ou des dépenses importantes. En France, elle recouvre la maladie, la maternité, la vieillesse, la famille, l’invalidité et les accidents du travail, le chômage, l’action sociale et les minima sociaux.

L’idée de se protéger collectivement n’est pas neuve. Dès le XIXe siècle, la classe ouvrière a créé des caisses de secours et des mutuelles pour pallier les coups durs. La révolution industrielle et l’exode vers les villes, leurs fabriques, mines ou usines, avait en effet fragilisé les solidarités traditionnelles des villages (famille, voisinage, paroisse).

C’est après la Seconde Guerre mondiale que la protection sociale s’est généralisée avec notamment la création de la Sécurité sociale en 1945 sous l’impulsion du Conseil national de la Résistance. Fondée sur le principe « chacun cotise selon ses moyens, chacun reçoit selon ses besoins », elle visait à sécuriser les individus « du berceau à la tombe », transformant durablement la vie des Français·es.

La protection sociale aujourd’hui

Il existe, pour chacun des champs de la protection sociale, des dispositifs légaux de base parfois complétés de dispositifs obligatoires ou facultatifs, portés par une pluralité d’acteurs.

Le principal (73 % des prestations) reste la Sécurité sociale et ses organismes associés (hôpitaux publics, retraites avec l’Agirc-Arrco, Unedic). Viennent ensuite l’État, qui intervient notamment via l’aide et l’action sociales (prime d’activité, aides au logement, allocation aux adultes handicapés…), les collectivités locales qui financent notamment le revenu de solidarité active ou l’allocation personnalisée d’autonomie, tandis que les régimes privés (mutuelles, prévoyance, associations, entreprises) complètent le dispositif.

En 2022, les prestations versées par l’ensemble des acteurs se répartissaient ainsi: 44 % pour la vieillesse, 37 % pour la santé, 7 % pour la famille, 6 % pour l’emploi, 2 % pour le logement et 4 % contre la pauvreté et l’exclusion.

Une construction attaquée depuis plusieurs décennies

Depuis les années 1980, la protection sociale subit des remises en cause constantes.

Sur le plan idéologique, les cotisations sociales sont présentées comme des « charges » pesant sur les entreprises, alors qu’elles constituent du salaire socialisé, mutualisé pour financer des droits sociaux. Les exonérations pratiquées ces dernières années par les gouvernements fragilisent le financement de la protection sociale (cf. l’entretien avec Michaël Zemmour en pages 20 et 21). Dans le même temps, on assiste à une promotion de solutions individuelles pourtant plus onéreuses pour les individus : assurances privées, retraites par capitalisation, complémentaires santé devenues quasi obligatoires.

Par ailleurs, les réformes successives ont réduit le champ de la protection sociale : déremboursements de soins, reculs de l’âge de départ à la retraite, durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage… Le système de santé est aujourd’hui fragilisé par la financiarisation de la santé qui se développe ces dernières années en promouvant une logique de rentabilité au détriment de

l’intérêt général conduisant à l’orientation des soins vers les actes les plus lucratifs plutôt que vers les besoins réels des patient·es. (cf. l’article d’André Grimaldi en pages 18 et 19). Ces transformations ont des conséquences directes : plus de difficultés pour se soigner, aggravation des inégalités et progression de la précarité et de la pauvreté.

Un choix de société

Ces évolutions traduisent un choix politique : affaiblir les solidarités. Or la protection sociale n’est pas un coût mais un investissement collectif, au service de toutes et tous, garant d’égalité, de dignité et de justice sociale qui doit être défendu et renforcé (cf. l’entretien avec Bruno Palier en pages 22 et 23 et les propositions militantes en pages 24 et 25).

Il est clair aujourd’hui que la protection sociale, fruit des luttes sociales et de la volonté de bâtir une société plus juste, n’est jamais acquise définitivement. Aujourd’hui, face aux remises en cause, il nous appartient de la défendre.