ENTRETIEN AVEC Hélène Chéronnet* « Affecter de réels moyens à la sortie de la délinquance »

*Hélène Chéronnet est chercheure en sociologie, laboratoire Clersé, université de Lille et école nationale de protection judiciaire de la jeunesse. Elle répond à nos questions sur le traitement actuel des mineur·es délinquant·es et les effets de la nouvelle loi Attal.

La « violence d’une partie de la jeunesse » est sans cesse convoquée dans le débat public, quelle est sa réalité ?

La définition est en elle-même déjà problématique, qu’est-ce qui fait qu’un comportement est étiqueté comme déviant, voire violent ? Il faudrait donc définir précisément cette violence car, par exemple, lorsque les catégories d’incrimination changent, les statistiques changent également. Un tournant s’est opéré dans les années 2000, avec une inflation législative qui tend à glisser de la culpabilité vers la dangerosité, avec un souci permanent de maintien de l’ordre public et une évolution vers la prise en compte de l’acte, au détriment de la personnalité du/de la mineur·e. On observe une moindre tolérance de l’opinion publique aux actes violents ou ressentis comme violents. Si on ne peut nier que des mineur·es commettent des actes très graves, ces derniers sont largement médiatisés alors qu’ils ne concernent qu’une partie minime des jeunes suivi·es dans un cadre pénal. Cet effet de halo, qui opacifie la réalité de l’ensemble, contribue à susciter des politiques publiques guidées par l’émotion. De surcroît, alors que les professionnels alertent sur les questions de santé mentale des jeunes, les études de terrain mettent en évidence une difficile articulation entre les dispositifs traitant les troubles psychiques et les structures de l’intervention sociale.

De quelle jeunesse parle-t-on ?

Les différents travaux sociologiques ont établi que les jeunes désigné·es comme violent·es par les pouvoirs publics sont bien souvent les jeunes des quartiers périphériques, paupérisés, souvent enclavés. Iels font par ailleurs l’objet d’un contrôle social accru de la part de différentes institutions : l’école, la police, la justice. Les politiques publiques successives ont opéré une partition de la jeunesse suivie par la protection judiciaire de la jeunesse. Coexistent ainsi les mesures de protection de l’enfance pour la jeunesse dite vulnérable, les mesures de troisième voie, d’alternatives aux poursuites, pour la petite délinquance, traitées par le parquet et laissant une marge de manœuvre faible, voire inexistante, pour les juges des enfants, et celles à l’adresse de la jeunesse multirécidiviste avec des peines plus sévères allant des contrôles judiciaires jusqu’aux dispositions relatives à l’enfermement.

En quoi la loi Attal poursuit-elle la rupture de l’équilibre instauré dans la justice des mineur·es depuis l’ordonnance de 1945 ?

Si on adopte une perspective historique, on constate que cette loi consacre la moindre tolérance de la réaction sociale aux actes délinquants posés par des mineur·es et fait la part belle à la culture du résultat en matière de sécurité publique. La recherche de la performance de l’action publique, en matière de lutte contre la délinquance, est engagée depuis la fin des années 1990 notamment avec les lois de 1996 relative à la convocation par officier de police judiciaire pour remédier à des temporalités jugées trop lentes, avec l’instauration du traitement en temps réel et la place de plus en plus importante prise par le parquet dans la procédure pénale.

En 2002, le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé le droit des mineur·es en l’érigeant en dixième principe fondamental reconnu par les lois de la République et en établissant sa spécificité notamment par la primauté de l’éducatif sur le répressif, la spécialisation des acteur·ices et l’atténuation de la responsabilité pénale. La loi Attal remet en cause l’ambition humaniste et universaliste de l’ordonnance de 1945, notamment par l’assouplissement de l’excuse de minorité et la comparution immédiate pour les mineur·es de plus de 16 ans récidivistes, alors que la césure du procès pénal prévue par le code justice pénal des mineur·es contribuait à mieux baliser et à raccourcir les temporalités en matière de jugement.

Qu’attendre de cette loi ?

Elle introduit une discrimination dans la population des mineur·es délinquant·es et poursuit un rapprochement avec la justice des majeur·es. Elle contribue à engendrer une stigmatisation plus importante des jeunes vulnérables, certes multirécidivistes, mais pour lesquel·les une attention portée à l’acte devient prépondérante. Des travaux criminologiques mettent l’accent sur les effets délétères d’une stigmatisation par les institutions pénales, alors qu’il est primordial, pour sortir de la délinquance, de bénéficier de soutiens et de se projeter dans une alternative crédible. Dans sa préface à l’ouvrage que nous avons co-dirigé1, Marwan Mohammed rappelle que l’absence de politique conséquente favorisant les sorties de délinquance est coûteuse pour une société. Un équilibre est sans doute à trouver entre des orientations centrées uniquement sur la gestion des risques et une attention accrue au soutien au processus de désistance2. Celui-ci passe par des phases de conscientisation, de mobilisation et de pérennisation qui, au terme de ce processus, se traduit par une évolution de l’identité, dans laquelle la délinquance n’est plus la seule ligne structurante, et par une affiliation de ces jeunes à des relations et des institutions plus conventionnelles.

Comment conforter ce processus de sortie de la délinquance pour la jeunesse multirécidiviste ?

La notion de parcours de vie et sa prise en compte dans l’accompagnement éducatif sont essentielles. Elle permet effectivement de considérer le jeune au-delà de son acte, de prendre en compte son implication sur les différentes scènes de la vie sociale et d’évaluer les supports dont il pourrait bénéficier, dans une perspective de sortie de délinquance. À l’opposé des politiques publiques récentes structurées par une rhétorique de l’urgence, cette approche nécessite de prendre du temps pour recueillir les informations nécessaires pour aider les jeunes à se projeter dans une alternative crédible. L’éducateur ou l’éducatrice de milieu ouvert représente vraiment les piliers d’un tel processus. Ce travail en milieu ouvert permet un investissement à bas bruit de jeunes, comme par exemple une participation à des ateliers cuisine qui peuvent déboucher par la suite sur un contrat d’apprentissage. Le milieu ouvert, qui a fait ses preuves, constitue une piste à conforter réellement, plutôt que de concentrer l’essentiel des efforts, comme c’est le cas actuellement, sur des dispositifs coercitifs. Pour soutenir les différents acteur.ices dans cet objectif, de réels moyens doivent être affectés dans des politiques publiques de sortie de la délinquance. À cet effet, l’intégration de la possibilité de proposer le recours à la justice restaurative, dans l’article L 13-4 du code de la justice pénale des mineur.es, contribue à une avancée vers la prise en compte de la réparation de la victime et du ou de la mineur.e au-delà même d’une approche punitive.

Propos recueillis par Arnaud Malaisé