Nouveau capitalisme ? Nouvel impérialisme ?

Nous assistons en même temps à l’exacerbation des crises écologiques, sociales et démocratiques et aux recompositions des modes d’organisation du capitalisme. Quel que soit le terme choisi : capitalisme de la finitude, de l’apocalypse, fin de la mondialisation, conflits inter-impérialistes, l’ordre international hérité du XXe siècle s’effondre sous nos yeux. En effet, il fait (et nous faisons) face à une crise aux dimensions inédites : la dégradation des conditions matérielles (crise écologique) et sociales (exacerbation insoutenable de l’exploitation du travail) indispensables à sa reproduction (cf. article de Jean-Marie Harribey) se conjugue aux phénomènes classiques, car inhérents au capitalisme, de surcapacité de production et de surproduction.

Cela exacerbe les tensions internationales : le bloc occidental − les États-Unis, leurs alliés européens et de la zone Pacifique −, bien que toujours dominant, est en difficulté à la fois en raison des échecs militaires, et surtout du fait de l’émergence d’autres puissances dans la nouvelle configuration de la division mondiale du travail, en particulier la Chine. La concurrence économique et géostratégique avec cette dernière peut d’ailleurs déboucher sur un conflit inter-impérialiste majeur avec comme moteur l’affrontement entre la Chine, puissance émergente et les États-Unis (cf. article de Benjamin Benbaumer).

Dans ce contexte de crises − dont la crise écologique est l’expression la plus extrême − se mène une guerre technologique, commerciale et extractiviste à l’échelle mondiale.

Le  nouveau désordre impérial, nouveau au sens de reconfiguré (cf. article de Claude Serfati), ne survient pas comme un coup de tonnerre dans une mondialisation heureuse. La destruction systématique des droits sociaux, démocratiques, la contre-révolution néolibérale et autoritaire ont ouvert les portes de cette tragique séquence.

Le terme d’impérialisme qui avait quasiment disparu du vocabulaire avec l’illusion d’une mondialisation apportant paix et prospérité revient en force. Il est l’expression de la domination de l’espace mondial par quelques grands pays qui captent les richesses produites par le travail et pillent les ressources. Avec Trump au pouvoir, c’est l’impérialisme à l’état pur, brutal (avec la volonté d’annexer le Groënland y compris militairement, et d’intégrer le Canada aux États-Unis).

La course aux armements qui reprend un peu partout, quantitativement et qualitativement, est dangereuse. La crise même du système mondial provoque crispations nationalistes et hystéries identitaires. Les guerres sont partout présentes avec notamment la guerre impérialiste de la Russie en Ukraine et le colonialisme d’une violence extrême de l’État d’Israël en Palestine et sa guerre génocidaire à Gaza, sous le silence complice des grands États (cf. article de Claude Serfati).

La montée de l’extrême droite à l’échelle mondiale s’accompagne de la banalisation du terrorisme d’État et de crimes de guerre. Le néofascisme intervient aujourd’hui comme réponse autoritaire et guerrière aux dérèglements économiques et politiques de la mondialisation néolibérale et à l’effondrement des règles du système international.

Développer des résistances

Face à ce basculement, les forces sociales, syndicales et politiques, sont soumises à des questionnements stratégiques de fond, tout en se battant au quotidien pour limiter les régressions, les attaques, et résister au jour le jour. Si l’on pense que la barbarie est aux portes de l’histoire, que faire ?

Rêver d’un retour à un libéralisme doux et à une protection européenne est assez chimérique. L’UE est de plus en plus perméable aux régimes illibéraux voire néofascistes. Elle ne cherche qu’à freiner son déclin en tant que bloc impérialiste en revendiquant une meilleure place dans le nouveau partage du monde.

Macron et tous les libéraux ont conduit à cette situation : guerre de tous contre tous, mise en concurrence généralisée, prédation de toutes les ressources, qu’elles soient humaines (uberisation, auto-entreprenariat, éclatement du salariat), socio-économiques (privatisation des bénéfices, mais socialisation des pertes), juridiques (contournement des législations et évasions fiscales) ou naturelles (extractivisme).

Plus que jamais nos batailles doivent s’inscrire dans un internationalisme revivifié, ce qui signifie s’opposer à tout repli national-étatique, refuser la militarisation de la société. Cette ambition implique une analyse sérieuse des freins auxquels le mouvement social est confronté (cf. article de Christophe Aguitton). C’est d’autant plus indispensable que le refus des économies de guerre, la défense des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, la défense du droit international, l’égalité et la justice sociale et écologique s’affirment de plus en plus comme des combats anticapitalistes.

C’est le propos de ce dossier, de nous outiller collectivement face aux enjeux colossaux de la période. « Socialisme ou barbarie » disait Rosa Luxemburg…

Adrien Martinez, Julien Rivoire, Sophie Zafari