**Grands projets inutiles et imposés – défis et enjeux**

Autoroutes, mégabassines, aéroports, fermes-usines, mines… en France et dans le monde, la liste est longue de grands projets inutiles et imposés. Inscrit dans une logique capitaliste d’accaparementet une économie de marché globale, exploitant la planète, le tout est repeint d’un vert pâle, teinté de répression, de choix antidémocratiques et de chantage à l’emploi. Les défis sont multiples. Les enjeux démocratiques, environnementaux, sociaux et syndicaux aussi sont cruciaux.

Pour les grands projets, les enquêtes publiques, annoncées en catimini, non contraignantes, ne sont qu’une mascarade de concertation. Les élu·es locaux·les concerné·es peuvent être englué·es dans des logiques partisanes ou territoriales qui limitent leur parole. Les instances de concertation ne sont que consultatives et les interventions syndicales ou associatives ne sont pas prises en considération. Des collectifs de citoyen·nes et d’organisations se constituent alors, mêlant des histoires et des cultures de lutte différentes. La contestation s’installe et s’organise légitimement. Le rapport de force se construit et les militant·es et les organisations font face à des autorités qui utilisent toutes les armes et les mesures répressives possibles à leur encontre. Darmanin parlait d’écoterrorisme pour mieux criminaliser les mobilisations environnementales…

À tous les niveaux, les organisations syndicales, particulièrement celles de transformation sociale, ont leur place au sein de ces collectifs. Ces projets peuvent heurter nos mandats et le travail de nos mandant·es. Aussi, il nous appartient de les analyser, de les évaluer et de les dénoncer s’ils ne sont pas pertinents. Ces derniers peuvent impacter différemment notre fédération, les sections départementales ou les syndicats nationaux, notamment quand des agent·es de notre champ de syndicalisation ou des sections syndicales entières sont directement concerné·es. Cela peut entraîner des tensions. La situation sociale, le chômage, la désindustrialisation est dramatique mais le chantage à l’emploi ne peut ignorer l’urgence climatique. Et la FSU n’est pas la seule affectée, les confédérations le sont elles aussi. La maison commune que nous construisons doit être le lieu de ce débat. La question du syndicalisme de lutte et de transformation sociale est de savoir quel(s) services public(s), quel travail et quel(s) emploi(s) nous voulons et sur quelle planète surtout si elle est en feu ou sous les eaux ?

Le Canal Seine-Nord Europe : un projet écocide, antisocial, inutile et imposé !

La région des Hauts-de-France voit, elle aussi, arriver un de ces méga projets pharaoniques qui cumulent toutes les tares. Pensé comme le « chantier du siècle » par ses promoteurs libéraux, le président de région Xavier Bertrand en tête, le canal Seine-Nord Europe (CSNE) est en réalité un outil au service de l’économie mondialisée produisant et transportant toujours plus, sans se soucier de son impact sur les travailleur·ses et sur la planète. Un projet décrié localement et nationalement.

Pour le défendre, les arguments sont toujours les mêmes, dont l’emploi. La construction d’un méga canal long de 107 km traversant les Hauts-de-France et reliant la Belgique à la Seine par son affluent l’Oise, au niveau de Compiègne, créera des emplois durant les travaux (3 000 à 6 000 selon la Société du Canal Seine-Nord Europe). Mais après ? À l’horizon 2050, certain·es, du PS à LR, évoquent 30 000 à 50 000 emplois créés ! Qui dit mieux ? Ou plutôt qui dit moins ? Car ces projections se basent sur une croissance économique à 1,6 % jusqu’en 2070 et les comparaisons avec d’autres projets similaires rendent cette hypothèse peu crédible. Pire, l’automatisation d’une grande partie de sa gestion et la concurrence entre les travailleur·ses fait craindre un bilan global négatif. Y aurait-il aussi la volonté de faire disparaître le port du Havre, ses dockers et ses syndicats ? Plus grande infrastructure française, avec ses 78 millions de m^3^ de terrassement qu’elle générerait, ce méga canal et les six écluses nécessaires pour surmonter 106 mètres de dénivelés va coûter très cher : au moins 10 milliards d’euros financés par des fonds publics. Et ce coût ne fait qu’augmenter, la Cour des comptes européenne évoque une hausse de 200 % depuis les premières estimations, soit 3,3 milliards d’euros supplémentaires. C’est environ 30 fois plus au kilomètre qu’un canal de plaine. Dernière aberration rendant ce canal définitivement obsolète pour assurer sa rentabilité, les convois fluviaux de 185 mètres de long devront aligner trois étages de conteneurs alors que de nombreux ponts ne seront pas rehaussés et limiteront à deux étages la capacité de transport de barges. La spéculation sur les prix du blé est aussi en ligne de mire avec l’installation de méga silos permettant le stockage de millions de tonnes de céréales en bordure de canal.

Antisocial et écocide

Sur tous les plans, ce projet ne lutte pas contre le dérèglement climatique contrairement à ce que clame la société maîtresse d’ouvrage. Le CSNE ne fera pas diminuer le transport routier de fret sur l’autoroute A1. Au contraire même, il augmentera : les marchandises qui circulent sur les routes ne sont pas transportables (ou très peu) sur l’eau. Il n’est pas non plus écologique. Les atteintes à la biodiversité^2^ du fait de la bétonisation, de l’artificialisation des sols et de la déviation de l’Oise ne seront pas compensées (la compensation existe-t-elle vraiment ?). Il n’y aura pas de réduction des émissions de gaz à effet de serre durant sa construction et son exploitation. Le CSNE ne préservera pas la ressource en eau. Une giga-méga retenue d’eau serait creusée pour garder en réserve, lors des sécheresses à venir, 14 millions de m^3^ d’eau, soit 22 bassines de Sainte-Soline. L’éducation et l’école sont aussi instrumentalisées : des réunions pour des enseignant·es de l’académie d’Amiens sont organisées pour vanter les bienfaits du méga canal…

Pour un projet alternatif

Un autre projet fluvial moins coûteux et moins écocide est possible en revoyant la taille actuelle du canal du Nord et du canal latéral à l’Oise pour augmenter leur exploitation et leur rendement. Des bateaux plus petits, mais permettant d’assurer le transport de ces marchandises et la préservation de la batellerie artisanale, pourraient circuler. Pour le moment, le creusement du canal n’a pas débuté. Les mobilisations se poursuivent. La Fête de l’eau était de retour à Compiègne du 17 au 20 mai sur les bords de l’Oise. Au programme, le rassemblement de tout·es celles et ceux qui ne veulent pas de ce méga canal. Une nouvelle occasion de refuser la répression et de soutenir les camarades engagé·es dans la lutte et qui passeront en procès le 20 mai et le 26 août prochain.

Pierre Ripart

1. Les mandats de la FSU sont d’ailleurs précisés depuis le congrès de Rennes : « Le fret fluvial doit être développé sur les voies existantes. »

2. La découverte d’une espèce de moule d’eau douce (la mulette) ainsi qu’une espèce protégée de grenouille (la rainette verte) fera-t-elle retarder voire couler le chantier ? Cf. article du Parisien du 11 avril 2025.