Annick Coupé, ancienne porte-parole d’Attac et membre du secrétariat du comité de pilotage, présente cette édition 2025 de l’université d’été des mouvements sociaux et des solidarités (UEMSS). Après une édition 2023 à Bobigny, celle-ci aura lieu du 23 au 26 août prochains sur le campus de l’université de Bordeaux à Talence. Avec environ 2 000 participant·es attendu·es, cette initiative reste un élément central de dialogue et de construction des mouvements sociaux entre eux.
Peux-tu nous expliquer ce qu’est l’UEMSS ? À quels besoins répond-elle ?
Pour comprendre à quels besoins répond l’UEMSS, il faut repartir de ce qui existait avant. Le Crid — Centre de recherche et d’information pour le développement — qui travaille autour des questions de solidarités internationales et Attac avaient, jusqu’en 2016, deux universités d’été séparées. Au vu de la convergence thématique et du travail commun entre ces deux organisations dans un certain nombre d’espaces, il a été décidé de faire encore plus de commun en co-organisant un événement et de l’élargir à l’ensemble des mouvements sociaux. C’est ainsi que naquit l’UEMSS dont la première édition a eu lieu en 2018 à Grenoble. Et depuis lors, à chaque fin d’UEMSS, le bilan de ce choix d’un événement large s’avère positif, est plébiscité et le souhait de continuer ainsi réaffirmé.
L’UEMSS est donc conçue comme un espace d’échanges à plusieurs niveaux. Il s’agit d’abord de confrontations et de disputes dans le sens positif du terme : personne n’ayant la réponse sur l’autre monde à construire, il faut confronter et partager les connaissances comme les expériences pour avancer. L’événement s’articule entre des plénières autour de grandes thématiques et d’ateliers au format plus réduit. Cette volonté de co-construire est visible dans tout le processus. Le comité de pilotage est ouvert à toutes les organisations qui le souhaitent, la FSU y est ainsi représentée. Tous les chantiers, aussi bien la logistique que la communication ou le programme, sont répartis en groupes de travail où chaque organisation peut s’investir. La volonté de co-construire vaut donc aussi pour l’événement en tant que tel.
Quels sont les enjeux de l’édition 2025 ?
Nous avons toutes et tous en tête, bien évidemment, l’accélération exponentielle du danger de l’extrême droite à toutes les échelles, y compris en France. Et un contexte international où le rapport de force permanent, le militarisme et les guerres s’imposent trop souvent.
Au-delà de ces deux menaces globales, la séquence d’instabilité institutionnelle ouverte par la dissolution de l’Assemblée, en juin 2024, n’est pas close. Et l’approche des échéances électorales municipales de 2026 et présidentielle de 2027 est aussi dans toutes les têtes et pèse logiquement sur les orientations et initiatives des mouvements sociaux.
L’enjeu est donc aussi large qu’impérieux : il s’agit de construire les résistances aux politiques antisociales, antiécologiques et discriminatoires qui deviennent la norme partout et s’accentuent.
Ce contexte oblige, autant qu’il interroge, voire tétanise. Il y a beaucoup de difficultés et de perplexité à penser une situation complètement inédite et véritablement dangereuse pour notre camp social, et donc à construire les résistances nécessaires. Comme je le disais plus haut, personne n’a la capacité à réfléchir et trouver les solutions seul·e : faire du commun devient un enjeu vital.
Une des particularités de la période est celle du lien à la politique partisane. Est-ce que ce sujet va être traité en tant que tel ?
Il faudrait déjà évacuer l’idée fausse d’un mouvement social qui serait sur un chemin et les partis politiques sur un autre sans que jamais ces chemins ne se croisent, comme si la rue était déconnectée des urnes.
D’abord, parce que les mouvements sociaux font de la politique. Exiger de la justice sociale et écologique, c’est très politique ! Ensuite, sur l’ensemble des mobilisations, les partis politiques jouent un rôle. Que ce soit un relais institutionnel aux luttes ou par une participation active, les partis politiques ne sont pas que dans le jeu électoral mais investissent le terrain des luttes depuis toujours.
Ensuite, les partis ont leurs propres espaces : les rencontres et autres universités d’été rythment l’été et 2025 ne fera pas exception. Dans ces espaces, le mouvement social est convié ! Il est important que dans l’UEMSS, l’inverse soit vrai. D’ailleurs des débats autour d’enjeux très politiques auront lieu, comme interroger l’action institutionnelle. Il serait dommage, voire contre productif d’exclure a priori les personnes qui portent cela au quotidien.
Enfin, il serait, au vu de la période, absurde de penser que ce n’est pas un enjeu. C’est la question qui s’est posée de façon très soudaine lors de la dissolution. Et même si ce fut une période compliquée où les questions d’indépendance se sont évidemment posées, ce fut aussi une période riche d’échanges et de dialogues inter-organisations et inter-mouvements. L’UEMSS est un cadre pour approfondir cela. Une plénière sera notamment consacrée à cette question. Des militant·es, voire des représentant·es d’organisations politiques pourront être présent·es sans que l’indépendance de l’UEMSS ne soit remise en cause : le Comité de pilotage est issu des mouvements sociaux — associations, syndicats — qui sont partie-prenante du processus UEMSS.
Quelle place pour le mouvement syndical aux UEMSS ?
Le syndicalisme est une composante essentielle de la société civile comme du mouvement social. Il en est un des piliers historiques, il a donc toute sa place.
Mais plus que l’histoire, c’est politiquement que sa présence est indispensable. À titre d’exemple, comment pourrait-on penser la bifurcation écologique qui nécessite de remettre en cause nos systèmes de production comme les services publics, sans que les organisations syndicales qui organisent les personnes y travaillant, soient présentes ?
Par ailleurs, quand les contre-réformes libérales et/ou les projets écocides se mettent en place, les syndicats mobilisent, et souvent massivement, pour organiser la bataille et imposer d’autres choix. Le syndicalisme, comme l’ensemble du mouvement social, défend un autre modèle face au modèle libéral et autoritaire actuel. Il a donc toute sa place dans l’élaboration collective de ce contre-projet de société.
De plus, le syndicalisme n’est pas dans un « coin » du mouvement social. Il est traversé par les mêmes questionnements que tous les mouvements : le féminisme, l’antiracisme, les questions internationales, les droits et libertés… Et il a autant besoin de se nourrir que de nourrir les autres organisations.
Si on regarde un peu plus précisément, ces besoins réciproques sont aussi au cœur des tentatives de cadres permanents comme l’Alliance écologique et sociale (AES). Il serait inutile de nier les difficultés que cette alliance traverse, mais le simple fait que cela soit possible montre qu’il y a des évolutions notables de part et d’autre. L’UEMSS participe, à sa façon, à ouvrir ces espaces de dialogues.
Propos recueillis par Antoine Chauvel
Toutes les informations :https://www.uemss.org/Edition-2025**