**Programmes du cycle 3 – quelle analyse ?**

En cette fin d’année scolaire, l’entreprise de réécriture des programmes franchit une nouvelle étape avec la publication des nouveaux programmes en français et en mathématiques pour le cycle 3.

Le ministère Attal avait demandé au Conseil supérieur des programmes de rédiger un nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Ceci fait suite à la réécriture des programmes des cycles 1 et 2, particulièrement scandaleuse. Quel paysage tout cela dessine-t-il ?

Dans le sillage du quinquennat Blanquer, les personnalités nommées au Conseil scientifique de l’Éducation nationale ou à la tête de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) poursuivent son entreprise de construction d’une école du renoncement à la lutte contre les inégalités scolaires. Le renforcement des repères annuels, voire infra annuels est un stigmate d’une école plus normative, moins à même de gérer les différences de rythme d’apprentissage des élèves permis par les attendus de fin de cycle.

L’inspiration n’est pas à chercher du côté des consensus scientifiques en éducation mais plutôt du côté du laboratoire neuroscientifique de Stanislas Dehaene. Pour les objectifs, le ministère poursuit sa volonté d’accentuer le contrôle des pratiques enseignantes, de protocoliser, « prolétariser » le métier enseignant pour le réduire à un métier d’exécution. Or les systèmes scolaires qui luttent le mieux contre les déterminismes sociaux sont ceux qui ont investi dans l’expertise et la formation des enseignant·es.

Les « programmes » du cycle 1 sont une compilation d’items fragmentés à mémoriser pour les élèves et un manuel de protocoles à appliquer pour les enseignant·es. On n’y trouve aucune référence au « tous capables d’apprendre et de progresser » des programmes de 2015, mais une insistance sur la naturalisation du développement et du devenir élève.

La performance occupe une place centrale dans les programmes du cycle 2, même quand elle est non atteignable, ou difficilement, par la majorité des élèves. Elle s’accompagne d’un culte de la précocité dans les acquisitions. Pour le cycle 3, les programmes subissent moins les ravages des conceptions de S. Dehaene. Il faut dire que ce segment des apprentissages a moins retenu son attention et que la FSU-SNUipp a pesé sur la version définitive du texte. Cela dit, ils représentent eux aussi un recul et renforcent les repères annuels.

Programmes de français : une régression contenue…

Rompant avec la logique de cycle qui permet pourtant de tenir compte du rythme d’acquisition des élèves, les repères annuels et infra annuels sont présents pour presque tous les domaines d’apprentissage, cadrant le nombre de textes à lire, les méthodes d’apprentissage et certaines pratiques enseignantes.

Dans ce texte, le recul de la liberté pédagogique inhérent à la logique qui avait présidé pour les programmes des cycles 1 et 2 est moindre, puisque les exemples de réussite ont été sortis des programmes pour être disponibles en ligne. Cependant le maintien de « points de vigilance » pour les professeur·es, qui cadrent aussi bien la posture enseignante « le registre de langue des professeurs constitue une référence pour l’élève » que l’activité des élèves, « la participation spontanée des élèves est à distinguer de l’expression orale préparée » montre une perte de confiance envers la professionnalité des personnels.

En français, le programme du cycle 3 évite le pire, malgré quelques contradictions. Dans le préambule, on retrouve notamment une entrée applicationniste où l’orthographe et la syntaxe semblent les premiers savoirs à acquérir pour écrire alors que quelques lignes au-dessous, la compréhension devient l’objectif central des acquisitions du cycle 3.

Autre parti pris opposé au programme du cycle 2, la place du plaisir de la découverte et du jeu dans le processus d’apprentissage est affirmée et mise en avant (plaisir de lire, plaisir d’écrire, plaisir de jouer avec la langue…). On retrouve ces entrées ainsi que l’importance d’enrichir la culture des élèves tout au long du texte et au sein du nouveau domaine d’apprentissage « culture littéraire et artistique » où les « questions littéraires permettant de problématiser l’étude des textes et les approches qui les servent » montrent la volonté de donner accès à tou·tes les élèves à des savoirs réflexifs, critiques voire émancipateurs.

… comme pour ceux de mathématiques

Les programmes du cycle 2 actionnent tous les leviers conduisant à une exacerbation des inégalités d’apprentissage : conception étapiste et mécaniste des apprentissages au détriment de la construction du sens, anticipations délétères de notions, aberrations didactiques… Les nouveaux programmes du cycle 3 évitent une partie de ces critiques.

Le domaine nombre et calculs est le plus problématique. Il conserve les stigmates, certes tempérés, d’une conception éclatée du nombre, séparant construction du nombre, calcul mental et techniques opératoires. La conférence de consensus du Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) indiquait pourtant qu’« il est important de développer l’intelligence du calcul en lien avec une compréhension profonde de la notion de nombre », d’autant plus mise à mal par l’accent mis sur l’automatisation en calcul mental. Enfin la partie « problèmes » renvoie à une image d’Épinal de problèmes réduits à une traduction mathématique de situations de vie pour un traitement uniquement arithmétique, et ce de façon fortement protocolisée. C’est en rupture avec les travaux des Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques (Irem) qui pointent l’importance de proposer des situations-problèmes autour de ce qui fait problème en mathématiques.

L’introduction plus affirmée de l’algèbre dès le CM1, ou celle nouvelle de la probabilité sont intéressantes, d’autant qu’il est répété qu’il ne s’agit que d’une première familiarisation. Mais c’est au risque d’une saturation curriculaire imposant un rythme effréné des apprentissages préjudiciable aux élèves issu·es des classes populaires.

Enfin le préambule fait la part belle aux compétences psychosociales, témoignant de l’offensive, relayée par Santé publique France, qui vise à mettre en avant des critères psychologiques pour expliquer les difficultés d’apprentissage, en visibilisant les mécanismes sociaux, et des modalités d’intervention centrées sur l’individu plutôt que sur la transformation du système.

Dans les pas de Blanquer

Blanquer avait annoncé qu’il n’avait pas besoin de toucher aux programmes de l’école primaire, réécrits en 2015, après plus de deux ans d’un travail de consensus associant la recherche en éducation. Ses continuateurs ont depuis œuvré à y greffer sa conception inégalitaire des apprentissages. Le caractère moins marqué des régressions dans les nouveaux programmes de français et maths du cycle 3 fait que la critique la moins acerbe à formuler est l’absence de cohérence de ces transformations. Elles marquent dans leur ensemble un recul par rapport aux programmes de 2015, dont l’ampleur sera à mesurer avec la réécriture du socle commun de compétences, de connaissances et de culture, en cours.

Philippe Gadier, Céline Sierra, Adrien Martinez