**Réforme de la formation – les vœux de l’ÉÉ exaucés ?**

Les concours de recrutement des enseignant·es seront placés en fin de licence dès 2026 ; c’est l’occasion de revenir sur les différences entre la formation conçue par le ministère et celle que défend l’École émancipée.

Depuis les premières réformes dites de la « masterisation » (fin des années 2000), l’ÉÉ défend un concours situé en fin et sous condition de licence suivi, pour ses lauréat·es, d’une formation dans le cadre d’un master pour toutes et tous donnant accès à des contenus de formation exigeants et à un diplôme (bac+5). La nouvelle réforme annoncée par le gouvernement pour la rentrée prochaine, dont certains décrets ont déjà été publiés, semble y répondre puisque les concours auront lieu en fin de troisième année de licence (L3) dès 2026 et leurs lauréat·es seront rémunéré·es pendant les deux années de master.

Une réforme pensée pour limiter la crise d’attractivité

Cette nouvelle architecture de formation correspond-elle à celle que défend l’ÉÉ ? Élisabeth Borne aurait-elle finalement été conquise par nos arguments ? Rien n’est moins sûr.

La position des concours de recrutement en deuxième année de master a considérablement réduit le vivier des candidatures, compte tenu de la configuration élitaire actuelle du système éducatif, ce qui s’est traduit par une baisse significative des recrutements, particulièrement dans certaines académies et disciplines. Mais dans le même temps, la cure d’austérité croissante de la fonction publique a drastiquement diminué le nombre de postes aux concours. La baisse du nombre de candidat·es s’explique aussi et peut-être surtout par les mauvaises conditions de travail et de rémunération des enseignant·es, ainsi que par la « perte de sens » au travail, engendrée par des conditions matérielles qui en font un « travail empêché ». Occultant opportunément ces dimensions, la raison avancée par le gouvernement pour justifier cette énième réforme de la formation est de chercher à stopper d’urgence le déclin de l’attractivité du métier enseignant.

Déplacer encore une fois la position du concours aura peut-être un effet mécanique sur le vivier des candidatures mais ne résoudra ni les craintes des débutant·es, ni les démissions (en hausse) des enseignant·es actuellement en poste ni les phénomènes de souffrance au travail liés à la dégradation des conditions de l’activité enseignante soumise à des injonctions contradictoires.

Un entraînement plutôt qu’une formation

Plus fondamentalement, le problème réside dans les contenus de formation des futur·es enseignant·es. L’ÉÉ défend une formation ambitieuse, à l’université, articulée avec des stages construits progressivement, de l’observation simple à la pratique accompagnée, en visant à terme la pratique autonome, mais inscrite dans un collectif de travail et de réflexion. Cette formation doit être à la fois professionnelle et disciplinaire (les disciplines de l’école, mais aussi les disciplines scientifiques qui étudient l’école). Or la nouvelle réforme impose des contenus simplifiés et unifiés, construits à partir des contenus scolaires, et non à partir des résultats des recherches académiques. De façon cohérente avec les réformes éducatives depuis Blanquer, l’objectif est de préparer les enseignant·es à obéir aux ordres et à appliquer des pseudo-recettes éducatives, plutôt que les préparer à penser leur métier et leur enseignement, avec l’objectif d’assurer l’émancipation intellectuelle des élèves. Au fond, il s’agira moins de former, que de formater, moins d’enseigner que d’entraîner.

L’usage actuel du « terrain » pourvu de toutes les vertus, comme si « voir faire » et « faire » étaient formateurs par eux-mêmes, démontre surtout, sa pauvreté intellectuelle mise à part, que les étudiant·es et les stagiaires sont prioritairement envisagé·es comme des moyens d’enseignement et que leur formation est en définitive un supplément. Comme l’a écrit Aristote, c’est la fin qui est en toutes choses le principal. Or la fin dernière de l’enseignement n’est-elle pas l’émancipation ?

Mary David et Vincent Charbonnier