Musique
La scène musicale australienne produit régulièrement des artistes qui s’exportent plutôt bien à l’international : AC/DC, Midnight Oil… Mais l’Australie, c’est également une pépinière de talents plus confidentiels puisque dès 1976, apparaît un combo garage-punk de type Stooges appelé The Saints.
Formée en 2016, Amyl and the Sniffers se pose en héritière de ces derniers. En deux EP et trois albums, Amy Taylor et ses comparses ont su créer un univers musical brut de décoffrage, où les déflagrations punks côtoient des morceaux plus apaisés musicalement, surtout dans le dernier album, Cartoon Darkness, sorti fin 2024. On ne se prend pas au sérieux : Amyl, c’est le nom australien du poppers… Amy explique que leur musique a le même effet : « ça dure 30 secondes, et après tu as mal à la tête »
Mais la sale gosse a une vraie conscience politique, féministe et pro-aborigènes, liée sans doute à son passé de vendeuse en supermarché. Amy incarne un féminisme radical, invitant sur scène la Cour suprême des USA à aller se faire f***, suite à l’abrogation de Roe vs Wade ou exprimant la peur que peut éprouver une femme de se promener seule le soir dans le morceau Knifey.
La rage et la colère légitime qu’elle éprouve, Amy les crache en éruptions quasi rapées, un peu à l’image de Rage Against the Machine. Mais pour les oreilles moins aguerries, elle est aussi capable de chanter des mélodies à la Suzy Quatro ou Joan Jett… et ça fait du bien de voir que certaines reprennent le flambeau d’un rock pas réservé aux machos.
Alex Gigord
Livres
La servante écarlate, un tableau « sous son oeil »
Un monde se dessine : une société dystopique où chaque couleur dépeint une fresque oppressante faite de fanatisme, de castes, de naissances forcées, de violences systémiques, de pendaisons, de viols répétés. Une idéologie monochrome règne : le réarmement démographique ! Le noir incarne le pouvoir, la force, les ténèbres. La couleur des hommes, des commandants, ceux qui dominent et surveillent, ceux qui détiennent tous les pouvoirs, asservissent, violent, tuent. L’émeraude est celle des épouses des commandants dont l’existence repose sur une vie soumise empreinte d’une sérénité illusoire : elles peuvent coudre mais pas lire, jardiner mais pas écrire, préserver la morale mais pas goûter à la liberté intellectuelle. Les Martha, cantonnées à un gris-vert morne, appartiennent à la classe inférieure. Domestiques des foyers des commandants, elles ne se marient pas, ne lisent pas mais cuisinent, nettoient et montent des réseaux clandestins. Marron, chemise brune, matraque à la main et dévotion fanatique, les tantes conditionnent les fertiles à obéir docilement à la Cérémonie — insémination qui n’est rien d’autre qu’un viol institutionnalisé. En gris existent les « non-femmes » : les infertiles, les lesbiennes, les déviantes, celles qui mourront dans les colonies. Et enfin, le rouge écarlate, saturé de violence : c’est la couleur des servantes. Rouge comme leur sang fertile exploité pour porter les enfants des commandants ; rouge comme le sang versé par les viols répétés qu’elles subissent ; mais aussi rouge comme la rébellion qui gronde en secret. Car c’est dans cette servitude écarlate que nait une résistance féminine, féministe et d’actualité. Au-delà de la fiction, cette cape rouge est l’emblème de celles qui refusent d’être objets d’un système patriarcal meurtrier. « Ils n’auraient jamais dû nous donner des uniformes s’ils ne voulaient pas que l’on devienne une armée ».
Manon Piloy
➤ Margaret Atwood,La servante écarlate (the Handmaid’s Tale), nouvelle traduction, Robert Laffont, collection Pavillons Poche, 2021. 12,50 €
Rousse ou les beaux habitants de l’univers
Ce court roman, d’un peu plus de 130 pages, met en scène une renarde qui décide de quitter les bois où elle vit pour remonter le cours d’un fleuve. Chemin faisant, elle se lie d’amitié avec une ourse, un sanglier, un écureuil, puis avec un corbeau et une éléphante qui deviendront ses maîtres car ce sont ceux qui savent. Les maîtres sont des animaux dont la vie est longue et qui peuvent raconter le passé.
Rousse vit dans un monde hostile. La Terre est ravagée par la sécheresse, les incendies, les tempêtes dévastatrices. L’eau se fait rare, la nourriture aussi. L’Homme ne fait pas, plus, partie de ce monde. On n’y trouve que de rares restes : des os blanchis, de la « faraille ».
La langue n’est plus humaine mais devient celle des animaux qui nomment ce qu’ils ne connaissent pas. Les articles sont absents, les sujets souvent inversés, rendant ce texte poétique et magnifique.
Cette fable animalière est un avertissement sur ce que pourrait devenir le monde que l’Homme détruit chaque jour, sans espoir d’inversion de la tendance. On peut y voir comme un écho du poème d’Esther Granek qui commence ainsi :
« Après l’Homme, après l’Homme, Qui dira aux fleurs comment elles se nomment ? Après l’Homme, après l’Homme, quand aura passé l’heure de vie du dernier Homme ».
De la pensée aux mots, 1997.
Nolwenn Bochereau
➤Rousse ou les beaux habitants de l’Univers, de Denis Infante, éditions Tristram, 16,50 €.
Il y a 100 ans, les Penn sardin
Le 24 novembre 1924 une grève commençait dans l’une des nombreuses conserveries de Douarnenez. Elle s’étendait rapidement à l’ensemble des usines de la ville. Les Penn sardin, qui tiraient leur nom de leur coiffe, ouvrières sous-payées et travaillant dans des conditions qui ne respectaient pas les lois sur le travail de nuit et celui des enfants, bloquaient le secteur économique essentiel de Douarnenez. Elles réclamaient un franc de l’heure, ayant obtenu lors de la grève précédente, 19 ans avant, d’être payées à l’heure et non au mille de sardines. Cet événement résonne encore dans la mémoire ouvrière de Bretagne, il a d’autant plus marqué que c’était une grève de femmes et qu’elle a été victorieuse.
Un siècle après, deux livres l’évoquent. Le premier, d’Anne Crignon^1^, reprend le titre de l’opuscule écrit par Lucie Colliard, une des dirigeantes de l’action du Parti communiste en direction des femmes, dépêchée sur place : Une belle grève de femmes. C’est un livre commémoratif plus qu’un ouvrage scientifique. Il s’appuie essentiellement sur deux sources : le récit de Lucie Colliard^2 ^et les témoignages recueillis par Anne-Denes Martin au début des années 1990^3^. L’autrice donne à voir la misère des sardinières au début du XX^e^ siècle, la force de leur action et le rôle du Parti communiste. Agréable à lire, ce livre permet de faire connaître cette lutte exemplaire en dehors des frontières de la Bretagne.
Fanny Bugnon, récipiendaire d’un prix aux derniers Rendez-vous de l’Histoire de Blois, ne traite pas exclusivement de la grève mais écrit la biographie d’une Penn Sardin, Joséphine Pencalet, sous le titre L’élection interdite^4^. Celle-ci qui a travaillé dès l’enfance dans une conserverie se marie avec un employé de chemin de fer qui l’emmène vivre à Argenteuil où ils rejoignent la forte population immigrée en provenance de Bretagne. Lorsqu’elle revient à Douarnenez en 1923, elle est veuve avec deux enfants, elle a une petite pension et a rencontré une classe ouvrière différente de celle de Bretagne. Elle participe à la grève et devient en 1925 une des dix femmes élues conseillères municipales de France. En effet, poussé par l’Internationale communiste, le PCF profite d’une ambiguïté de la loi électorale pour présenter et faire élire des femmes. Rapidement ces femmes sont déchues de leurs fonctions sans que le PC ne réagisse particulièrement. Fanny Bugnon, dans un ouvrage très documenté, revient sur le milieu où vit Joséphine Pencalet, l’économie de la pêche et de la conserverie, les conditions sociales et politiques, les revendications féministes et tente d’approcher au plus près de Joséphine Pencalet. Un livre d’histoire passionnant !
Elisabeth Hervouet
1. Grignon Anne,Une belle grève de femmes, les Penn sardin Douarnenez, 1924. Libertalia, 2024.
2. Colliard Lucie,Une belle grève de femmes,L’Humanité, 1925.
3. Martin Anne-Denes,Les ouvrières de la mer. Histoire des sardinières du littoral breton, L’Harmattan, 1994.
4. Bugnon Fanny,L’élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972),Seuil, 2024.
Podcast
Les couilles sur la table : incontournable depuis 8 ans
Le podcast de Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, est devenu le rendez-vous incontournable des féministes et de tou·tes celleux qui cherchent à comprendre comment se fabrique la masculinité, ce qui fait qu’on ne naît pas homme mais qu’on le devient.
Ces épisodes, qui peuvent durer entre 20 et 75 minutes selon les sujets et la manière de les aborder, sont souvent basés sur un entretien avec un·e spécialiste de la masculinité. Le plus souvent, cette personne a écrit un livre sur un aspect du problème patriarcal.
Chaque épisode nous plonge dans une vision qui consiste à regarder le monde par le prisme féministe afin de le comprendre, de le décrypter et « détricoter nœud après nœud la domination masculine » (V. Tuaillon).
Années après années, saisons après saisons (109 épisodes à ce jour), Victoire Tuaillon a exploré les façons dont le sexisme imprègne tous les milieux : dans l’agriculture, la politique en passant par le rap etc.
En décembre 2024, Victoire Tuaillon est licenciée par Binge Audio pour motif économique. Propriété de Binge Audio, le podcast continue, et paraît, un jeudi sur deux, animé aujourd’hui par Naomi Tutti ou Tal Madesta. On y parlait dernièrement du #Metoo des garçons ou du concept des pervers narcissiques pour comprendre des violences conjugales spécifiques.
On n’a de cesse, depuis 2017, de se repasser certains épisodes en boucle, tant ils sont riches : « parce qu’en ces temps d’urgence écologiques, les pensées et les pratiques féministes vont nous sauver. » (V. Tuaillon).
Amélie Lapprand
Standup
Mahaut Drama, combattre le patriarcat par le rire
Mahaut a commencé assise en cours de sciences politiques à la Sorbonne, puis en école de journalisme, pour se retrouver debout sur la scène du Comedy Love, plateau de stand-up queer et féministe, et finalement partir en tournée dans tout le pays.
Elle incarne une pensée féministe combative dans un corps qui emprunte volontairement tous les codes de la futilité et de la frivolité pailletée.
Son spectacle, comme ses chroniques, sont l’expression d’un nouveau militantisme qui se veut puissant parce que festif. Entre deux notes d’un humour à la fois grinçant et grossier, elle dénonce la normalisation des corps et des sexualités, l’hégémonie des hommes blancs en politique, le contrôle des libertés, la baisse des subventions du Planning familial, le masculinisme et le complotisme de Trump, le rôle des médias dans la montée de l’extrême droite…
L’humour est un incontournable de nos luttes. Mahaut le dit : « le rire, c’est un véritable contre-pouvoir, c’est un outil de pédagogie. » Comme d’autres humoristes de cette génération engagée, elle a subi des attaques, ciblée par une députée RN, menacée de viol et de mort sur les réseaux sociaux.
Aller applaudir ces artistes est un acte de militantisme joyeux. Chaque fois qu’un rire éclate dans leur salle de spectacle, c’est le bruit des bottes qui s’éloigne.
Mahaut Drama c’est d’abord un spectacle, Drama Queen, et des chroniques sur France Inter, dans l’émission Quotidien, mais c’est aussi un reportage, Corps sans complexe, et un livre à venir, Que jeunesse se passe.
Héléna Cadiet