Contre l’autoritarisme, une riposte unitaire !

Contribution aux débats du conseil national de la FSU-SNUipp 14 et 15 mai 2024

« Si le monde social m’est supportable, c’est que je peux m’indigner » disait Bourdieu dans un entretien avec Antoine Spire en 1990. Et dans la période, l’autoritarisme grandissant de la part de nos gouvernant·es donne matière à indignation. Cette tendance remonte à la période de l’état d’urgence décrété en novembre 2015 puis prolongé jusqu’en octobre 2017, et à la tentative avortée de constitutionnalisation des mesures de l’état d’urgence (incluant le projet sur la déchéance de nationalité). Leur traduction dans le droit commun a considérablement renforcé l’arsenal répressif dont disposent les gouvernements.

Montée des politiques répressives et contre le droit

Par la suite, le mouvement social s’est vu opposer une répression policière démesurée : « loi travail » de 2016, Gilets Jaunes en 2018-19, loi dite « de sécurité globale » en 2021, manifestation anti-bassines à Sainte-Soline le 25 mars 2023, retraites en 2023, pour ne reprendre que les exemples les plus saillants.

Sous la présidence de Macron, cette répression, accompagnée d’une augmentation très inquiétante du nombre de dissolutions d’associations et collectifs, a notablement mis dans le collimateur un type certain de combats : le combat social, écologiste, la lutte contre l’islamophobie, la lutte contre l’occupation en Palestine, la lutte contre les violences policières…

Même si des dissolutions de groupes d’extrême-droite ont également eu lieu (Division Martel…), et même si d’autres sont envisagées par Darmanin selon ses annonces de janvier 2024 (GUD entre autres), celles-ci ne servent que de caution pour pouvoir multiplier les attaques contre les collectifs du mouvement social.

Une autre évolution récente, et tout aussi inquiétante, voit la macronie s’affranchir du fait que l’action publique soit bornée par le droit. C’est par exemple Gérald Darmanin qui « assume » le fait de ne pas se conformer à un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme concernant l’expulsion d’un ressortissant ouzbek soupçonné d’islamisme. Le même Darmanin, avec Borne et Macron fait voter la loi « immigration » tout en reconnaissant que certaines dispositions ne sont pas constitutionnelles et mettent ainsi la pression sur le Conseil Constitutionnel avant qu’il ne se soit prononcé sur le texte. A la suite de la décision du Conseil, l’extrême-droite qualifiera de hold-up démocratique ce qui est le fonctionnement normal de nos institutions.

Criminalisation du soutien à la paix en Palestine

A la suite des attaques du Hamas le 7 octobre 2023, le gouvernement ne veut pas voir contredite sa position de soutien à la politique israélienne, même si celle-ci a légèrement évolué depuis. C’est ainsi que très rapidement Eric Dupont-Moretti émet une circulaire demandant une « réponse ferme et rapide » à l’encontre, entre autres, de tout « propos susceptible de revêtir les qualifications d’apologie du terrorisme ou de provocation directe à des actes de terrorisme ». Le terme juridique d’apologie du terrorisme, auparavant circonscrit au droit de la presse, a été introduit dans le droit commun par la loi Cazeneuve de 2014.

On assiste dès lors à une multiplication de convocations policières de dizaines de personnes critiques à l’égard de la politique de Netanyahou ou à une position non- manichéenne dans l’attribution des responsabilités dans les événements ayant conduit à la guerre. On peut citer de manière non-exhaustive Mathilde Panot, Rima Hassan, juriste et candidate aux élections européennes, Julien Salingue, directeur de publication du site du NPA, Sihame Assebague, militante anti-raciste, Anasse Kazib, syndicaliste de Sud Rail, les six étudiant·es de la section Solidaires de l’EHESS… parmi plusieurs centaines de convocations. Le plus souvent, il s’agit d’auditions libres, et donc sans accès au dossier pour les personnes convoquées.

Dans ce cadre, la condamnation inédite à un an de prison avec sursis (en attente de jugement en appel) de Jean-Paul Delescaut, secrétaire de l’UL CGT du Nord, est une attaque frontale contre la liberté syndicale et la liberté d’expression.

Les milieux universitaires connaissent également un nombre de mises sous pression sans précédent et beaucoup d’enseignant·es pratiquent désormais l’auto- censure afin d’éviter que tout propos ne soit détourné et utilisé pour leur nuire. Ces stratégies d’intimidation ne sont pas isolées et peuvent être rapprochées, par exemple, de la décision de l’université de Lille d’annuler la conférence sur « l’actualité en Palestine » où devaient intervenir Rima Hassan et JL Mélenchon, dans la continuité des annulations des universités de Rennes et de Bordeaux. C’est le même contexte qui fait suspendre d’antenne Guillaume Meurice pour une blague dont la justice a pourtant reconnu qu’elle n’était pas condamnable, qui fait intervenir les forces de l’ordre contre les manifestations étudiantes à Sciences Po ou dans diverses universités, qui fait évincer Alain Policar du Conseil des sages de la laïcité, et qui globalement fait plier l’expression des services publics contre les idées de l’extrême droite : on ne s’exprime pas contre Macron et son monde.

En avril 2023, la Défenseure des Droits a publié un avis s’inquiétant des menaces existant en France à l’encontre des libertés fondamentales, et en particulier des libertés d’expression et d’association.

Violence de classe

Pour imposer les énièmes politiques austéritaires, violentes, les éléments précédents sont indispensables. Par ces choix politiques, la macronie démontre très clairement ce qui, dans notre société, lui fait obstacle et doit être démonté : en s’attaquant aux services publics, à la transition écologique, aux droits des chômeuses et des chômeurs (contre-réforme de l’assurance-chômage), des salarié·es malades (augmentation du nombre de jours de carence, réduction de la couverture de l’ALD), des retraité·es (revalorisation des pensions annoncée en-deçà de l’inflation pour 2025), au statut de la Fonction Publique, aux syndicats (annonce de limitation du droit de grève sur les périodes de vacances).

Les annonces de sabordage de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) sont dans la même logique d’attaques incessantes contre les classes populaires. Et quand ils et elles dénoncent les « séparatismes », ce n’est que pour en combattre un seul : le « séparatisme » islamique. Rien n’est fait contre le séparatisme scolaire (Stanislas est toujours sous contrat, les plus de 10 milliards d’euros de financement du privé toujours budgétisés), contre la recherche de l’entre-soi résidentiel, contre l’isolement social des plus pauvres. Tout ce qui fait collectif les inquiète, tout est soit renvoyé au rang de la responsabilité individuelle, soit criminalisé, réprimé, ou planifié pour une mise au pas, ce qui revient à la même obsession destructrice.

Gabriel Attal a-t-il peur des jeunes ?

Manifestement, oui, comme le montrent les propos qu’il a récemment tenus concernant les mesures qu’il envisageait pour la jeunesse et le « sursaut d’autorité ». En juillet 2023, les révoltes urbaines des jeunesses des quartiers populaires, inédites par leur large couverture géographique, avaient donné lieu à l’annonce de « retour à l’ordre » et « reciviliser le pays ».

Le voilà qui propose en vrac l’obligation de se lever quand un professeur entre dans la salle, l’apposition de mention sur le dossier Parcours Sup des élèves « perturbateurs », l’implantation de conseils de discipline – appelés « commissions éducatives » – à l’école primaire, l’obligation de présence au collège de 8h à 18h dans les quartiers populaires, des contrats d’engagement entre l’établissement, l’élève et sa famille, des travaux d’intérêt général pour les jeunes délinquant·es. Il évoque même une réflexion sur la levée de l’excuse de minorité qui divise par deux les peines encourues par des mineur·es. Le SNPES- PJJ/FSU, déjà très mobilisé contre la mise en place du code de la justice pénale des mineur·es en 2021, dénonce une politique qui va « bafouer l’un des principes fondamentaux de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ». L’UNICEF France redoute également des mesures qui vont « porter atteinte aux principes fondamentaux qui favorisent la primauté des aspects éducatifs sur le répressif. »

La « Grande concertation sur le respect de l’autorité à l’école » est non seulement une supercherie supplémentaire, menée tambour battant pour tirer des conclusions définies en préalable, mais propose des solutions nauséabondes à des problématiques fabriquées de toutes pièces : toutes les études sur le sujet rejoignent les conclusions du sociologue Sébastien Roché : « On a des jeunes moins délinquants aujourd’hui qu’en 1999 à l’exception de phénomènes nouveaux, comme les humiliations sur internet ».

Bien évidemment, si une partie de la jeunesse en France exprime ses difficulté et ses revendications par la violence, c’est en réponse à la violence sociale, idéologique et policière exercée par l’Etat, qui touchent plus particulièrement les classes populaires et les jeunes racisé·es. La composante la plus jeune du mouvement social est actuellement grossie par les étudiant·es, les militant·es féministes, anti coloniales et anti fascistes. Leur participation dans les cortèges du 8 mars, du 1er mai, pour le cessez-le-feu va crescendo : il est de la responsabilité du syndicalisme d’agréger et de soutenir cette force contestataire, dont la conflictualité face aux politiques réactionnaires de l’Etat est incontestable.

Choc des savoirs : c’est toujours non

La répression, la criminalisation auxquelles nous faisons face constituent « stratégie du choc » : au lieu de faire le choix du développement d’un culture civique commune, Attal fait le choix de la coercition pour anéantir toutes les voies de l’émancipation et en tout premier lieu la démocratisation scolaire.

Il y a une continuité évidente entre les discours du premier ministre Attal et les mesures du « choc des savoirs » désormais portées par Belloubet : labellisation des manuels, généralisation des évaluations nationales, refonte des programmes, redoublements facilités, SRAN obligatoires, groupes de niveau au collège, uniforme… Il ne s’agit pas d’élever le niveau des élèves mais de les mettre en concurrence, leur préparer un avenir de dominant/dominé en favorisant l’élite tout en éjectant ceux en difficulté au plus vite de la scolarité.

Produire de la difficulté scolaire, reproduire les inégalités sociales, c’est le propre des gouvernements libéraux depuis des décennies (cf Sarkozy et les RASED…) ; ce gouvernement saigne l’école davantage, en les vidant de ses moyens, ouvertement, pour accélérer le tri vers la condition de « chair à patron ». L’objectif : produire une main d’œuvre docile, jeune et pas chère, vouée à un travail précaire et corvéable sous la pression du chômage et de la pauvreté, le plus tôt possible.

Riposter, résister et prendre nos responsabilités dans le mouvement social et démocratique

Sur le terrain, les échéances électorales poussent la droite extrême et l’extrême-droite à faire de la récupération dans les batailles que mènent nos collègues et les parents d’élèves. Nous devons donc être d’autant plus mobilisé·es et uni·es dans des initiatives comme le collectif Rispote, mais aussi dans les mouvements pédagogiques, et exiger des forces de gauche une convergence des luttes plutôt qu’un paysage de déplorables divisions.

Le gouvernement en place, pour violente et réactionnaire que soit sa politique, n’est pas un gouvernement d’extrême-droite. Cependant il flatte à chaque occasion un électorat dont il sait qu’une grande partie s’abstient et une autre est acquise aux idées réactionnaires. Tout serait prêt en termes de cadre d’action dans l’hypothèse où l’extrême droite arriverait au pouvoir. Le mouvement social, qui plus est celui d’une jeunesse qui ne se tient pas sage, doit résister à l’austérité, aux idées rances, réactionnaires et racistes, et à la répression pour être en position de contrer les idées fascistes et déjouer la mise en place de l’extrême droite au pouvoir en 2027.

Les mobilisations en cours contre le choc des savoirs et pour le choc des moyens, surtout dynamisées par des mouvements locaux à combativité variable, de parents d’élèves et de personnels, sont l’un des axes prioritaires des luttes à mener contre la casse de l’école publique. Nous avons tout d’abord une bataille idéologique à poursuivre pour convaincre les enseignant·es du premier degré de la profondeur des atteintes au sens du métier et à nos conditions de travail. La question des évaluations nationales, leur non-sens pédagogique et le danger de caporalisation qu’elles portent, mais aussi le pouvoir de nuisance qu’aurait un blocage du dispositif, doit être centrale. Ce travail de terrain peut être aussi l’occasion de nouer, soutenir et encourager le lien aux parents, essentiel dans les mobilisations en cours, et nécessaire pour casser le discours gouvernemental qui laisserait entendre qu’il y a de bons et de mauvais parents. Ce travail de conviction permettra de créer du lien et du collectif pour alimenter les dynamiques locales.

En parallèle, et devant la gravité des attaques, c’est l’unité qui doit être de mise : c’est fédéralement que nous devons porter le mouvement, pour nourrir une intersyndicale la plus unie possible, en lien étroit avec les parents d’élèves, mais aussi en agrégeant toutes les forces qui se reconnaissent dans cette lutte : mouvements pédagogiques, associations, élu·es et formations politiques.

La semaine du 13 mai sera une semaine d’agitation, de rencontres et d’action, visant à préparer et réussir le rendez-vous du 25 mai entre les enseignant·es et les parents. C’est une étape importante pour médiatiser la contestation et agglomérer plus de collègues et de parents à certaines modalités de résistance, en particulier sur les évaluations.

Le mois de juin nous engage à poursuivre le travail de terrain et les réunions publiques contre les mesures de carte scolaire et la perspective d’une rentrée sous le signe de l’austérité et des injonctions. C’est l’occasion d’outiller équipes et parents avec de l’analyse sur les programmes et leurs conséquences sur les conditions de travail et les conditions d’apprentissage, diffuser des outils de positionnement collectifs sur les évaluations (motions de conseils de maîtres·ses et CEC, adresses aux parents…), et mettre en évidence l’outrance de l’action gouvernementale qui organise un bousculement des fondements de notre école tout en faisant des saignées dans les budgets.

C’est la dynamique et la conflictualité d’avant l’été qui rendront possible une rentrée agitée autour en particulier des questions budgétaires et de la tenue des évaluations. Il nous faudra donc mobiliser, mobiliser et mobiliser encore, et se rendre disponibles pour accompagner les luttes de la jeunesse là où elles émergeront, sans jamais céder au fatalisme devant la permanence et l’ampleur des attaques. Car si le monde social nous est supportable, c’est que nous sentons le devoir de nous indigner.


La dette publique en épouvantail

La trêve ouverte avec les plans d’urgence aura été de courte durée. L’exécutif fait le choix de renforcer l’austérité en durcissant une politique de rigueur qui aggrave la crise sociale et écologique. Ce retour aux économies drastiques coïncide avec la remise sur le devant de la scène de la soutenabilité de la dette publique.

Alors que les agences de notation n’ont pas dégradé la note de la France et que la soutenabilité des dépenses dans un pays occidental créateur de richesses ne fait guère de doute, le « fardeau transmis aux générations futures » est de nouveau brandi en étendard pour dramatiser la situation et effrayer l’opinion publique. Mais surtout pour justifier que l’État doit se serrer la ceinture.

B. Le Maire a déjà amputé le budget de 10 milliards d’euros après une révision en baisse de la prévision de croissance pour 2024. Ce sont autant de crédits qui manqueront aux ministères et pénaliseront les services publics, et donc la protection sociale et les solidarités.

Il y a pourtant un levier simple à actionner pour améliorer le ratio de « dette publique », celui de l’accroissement des recettes. Dernièrement Attac a proposé six mesures pour dégager 60 milliards en mettant à contribution les ultra-riches et les multinationales , comme l’imposition des super-profits ou la création d’un véritable impôt sur la fortune. En plus d’appeler à signer la pétition qui les accompagne, il est nécessaire de s’emparer pleinement des questions budgétaires. Déjà parce que l’éducation ne sera pas exemptée de coupes franches sur les crédits et les emplois. Les suppressions de postes sur lesquelles Attal est revenu pour la rentrée prochaine auront un impact dès 2025. Et parce que, dans un contexte où le projecteur est braqué sur l’école, les économies qui lui sont imposées passent mal, comme en témoigne le récent revirement sur les HSE et les IMP dans le 2nd degré.

Un argument supplémentaire pour continuer à maintenir la pression.


Une Fonction publique à défendre

Deuxième mandat d’Emmanuel Macron, deuxième lxoi pour démanteler la Fonction Publique. Après la suppression de la plupart des compétences des CAP et la promotion de la contractualisation à tout va, le gouvernement prépare une nouvelle loi. Il s’agit d’un parti pris idéologique qui s’applique de façon décomplexée : faciliter les départs et particulièrement les licenciements, supprimer les catégories A, B et C au nom d’une soi-disant « meilleure promotion interne », développer la rémunération au mérite en faisant de l’évaluation professionnelle un « acte managérial ». En se focalisation sur l’insuffisance professionnelle, le ministre porte un regard caricatural sur la Fonction Publique, et on entend résonner les vieilles blagues dignes de l’almanach Vermot. Il s’agit en fait, sans qu’à aucun moment n’ait été fait le bilan de la loi TFP – qui a entraîné des reculs en termes de droit syndical et de droits des personnels – de poursuivre et d’accélérer la logique de dérégulation pour avancer dans la casse du statut. Quant au « mérite », il est évident qu’au-delà des risques de népotisme portés par la notion, dans nos métiers basés sur des collectifs de travail forts, on n’est pas méritant·e tout·e seule·e. C’est ce qui doit être porté dans la profession.

En parallèle de ces violentes attaques, les cadres d’emploi des contractuel·les peuvent évoluer sur le modèle des fonctionnaires, comme c’est le cas pour l’avancement automatique des AESH. Le ministère parle ainsi de « quasi- statut », ce qui en dit long des leviers actionnés pour rendre attractif le contrat, et ainsi détricoter le statut. La FSU-SNUipp, dans la FSU, doit populariser ces enjeux, y compris dans les mobilisations contre le choc des savoirs, car tout cela relève d’une même logique d’attaques violentes contre la Fonction Publique.