Les institutions internationales croient au retour de la croissance. Reprise es-tu là ?

Successivement, le FMI, l’OCDE, la Banque Mondiale ont livré leurs prévisions pour l’année 2017.
Le constat est semblable,
ils s’abreuvent des mêmes modèles :
la croissance mondiale est au plus haut depuis six ans.
Elle atteindrait 3,5 % en 2017 contre 3 % l’an dernier. Elle serait tirée prioritairement par la zone euro, « à l’aube d’une décennie dorée » comme le croit le « Financial Times », sans doute dopé
par la victoire de Macron et son attitude jupitérienne. Qu’en est-il ?

Le taux de croissance prévu pour la zone euro dépasserait celui des États-Unis, 1,7 % contre 1,6 % dans un environnement marqué par le retour de l’inflation entre 1,5 et 1,7 % et une diminution du chômage à 9,4 %. Il reste que le pouvoir d’achat des salarié-es diminue, que l’investissement s’oriente vers des progrès de productivité en intégrant des technologies numériques plutôt que des investissements de capacité ou l’augmentation du nombre de moyens de production.

Conditions de la reprise

La réalisation de ces prévisions suppose, pour la zone euro, la rupture avec les politiques d’austérité. Le gouvernement portugais, issu d’une alliance entre le Parti socialiste et la « gauche de la gauche », a mis en œuvre une politique de relance qui lui permet d’afficher une prévision de croissance de 1,8 % suivant la Commission européenne elle-même et une baisse de son endettement public. La Grèce, quant à elle, reste enfermée, par le biais de son surendettement et de sa dépendance à la BCE et aux autres pays de la zone euro, dans une politique d’austérité drastique et de plus en plus imbécile et meurtrière. Le débat porte sur la politique budgétaire à mettre en œuvre qui suppose de revenir aux dépenses sociales. La victoire relative de Jeremy Corbyn et du Labour en Grande-Bretagne fait la démonstration de cette nécessité. Par contre, les projets d’ordonnance sur le droit du travail de la part du nouveau gouvernement français laissent mal augurer de cette rupture. Faire disparaître le droit du travail est une erreur économique et sociale au moment où il faudrait augmenter le marché final pour sortir de la déflation, cette baisse des prix due à la tendance à la surproduction. Même l’OCDE met en exergue la nécessité de hausser les salaires et de former les travailleurs peu qualifiés. La lutte contre les inégalités est un vecteur de développement économique. La distribution de dividendes est un indice profond de la crise du capitalisme. Accumuler, accumuler est la devise du Capital qui veut élargir sa domination et non distribuer ou distribuer pour enrichir les plus riches. Keynes réclamait l’euthanasie des rentiers et ce programme est encore actuel.
La consommation des ménages tire encore la croissance. Les institutions internationales tablent, avec un soulagement évident, sur la reprise du commerce mondial et des exportations comme moteur de la croissance, notamment pour la zone euro. En 2016, le commerce mondial n’avait progressé que de 2,5 %, le taux le plus faible enregistré depuis l’entrée dans la crise systémique en août 2007. Pour 2017, la Banque Mondiale prévoit une hausse de 4 % et l’OCDE de 4,5 % pour justifier leurs prévisions de croissance et surtout, mener une guerre idéologique contre le protectionnisme en vantant les bienfaits du libre échange. Ces économistes officiels font reposer la croissance des économies émergentes sur le développement des échanges sans analyser le facteur clé : la dépendance aux prix du marché mondial via les marchés financiers, fonction de ce « tout à l’exportation » responsable des disettes et des famines. Pour réduire les inégalités, les cultures vivrières sont vitales, même au prix du protectionnisme sinon c’est le « développement du sous-développement ».

Réalités de la reprise

La réalité de la reprise ne fait pas de doute. Les économies américaines et européennes ont connu une longue période de déflation prononcée qui s’est manifestée par une très faible croissance. La Russie, l’Inde et certains pays asiatiques en récession ou en stagnation entre 2014 et 2016 se sont redressés. Comme le Brésil dans une moindre mesure, miné par une crise politique profonde.
La chute des Bourses chinoises en août 2015 a servi d’alerte pour les banques centrales. La déflation, plus la crise financière, pouvaient ouvrir la porte à une dépression, une récession profonde. Ce contexte explique la politique monétaire inédite à la fois de la Fed, la banque de réserve fédérale américaine et de la BCE. Une politique dite de « Quantitative Easing » qui se traduit par de faibles taux d’intérêt et par une forte création monétaire. Pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, des taux d’intérêt nominaux négatifs ont présidé aux opérations d’emprunts. La dette publique française a augmenté au début 2016, selon l’INSEE, pour atteindre 2 170,6 milliards d’euros, du jamais vu, mais le service de la dette – remboursement du capital et des intérêts – a baissé passant de 2,5 % du PIB aux environs de 1,7 %.

La Fed, par la voix de Janet Yellen, a annoncé la rupture avec cette politique en augmentant faiblement les taux d’intérêt directeurs de 0,25 % en deux fois, soit 0,50 % actuellement. La croissance de l’économie américaine plus faible devrait bloquer la hausse des taux. Par contre, la BCE par la voix de Mario Draghi, poursuit – jusqu’en septembre – une politique accommodante qui se traduit par un taux d’intérêt directeur de 0 % et par une création monétaire passant de 80 à 60 milliards par mois jusqu’à la fin 2017. Cette création monétaire a permis à la BCE de racheter une grande partie des obligations d’états de la zone euro et des grandes entreprises. Elle possède 1 700 milliards d’euros d’obligations achetées sur le marché secondaire dont 16 % de dettes privées (chiffres d’avril 2017). En d’autres termes, annuler la dette publique devient un simple jeu d’écritures dans le bilan de la BCE.

Ni la Fed, ni la BCE ne savent comment renouer avec la hausse des taux sans provoquer une réaction de panique des marchés financiers.

Cette politique monétaire a dopé les marchés financiers. Les « bulles » sont en train de se multiplier. Une bulle provient de la hausse des cours sans lien avec la création de valeurs, de richesses, une hausse uniquement spéculative qui ne peut pas durer. C’est le cas pour l’immobilier. La hausse des prix de l’ancien est issue de cette faiblesse des taux. Acheter en s’endettant à faibles taux – de l’ordre de 1,5 % – permet un bénéfice spéculatif important… tant que les prix montent.

Les incertitudes

La plupart des conjoncturistes, et pas seulement ceux de l’INSEE, appuient leurs prévisions sur la seule économie réelle, les fameux moteurs de la croissance : les investissements des entreprises, la consommation des ménages et les exportations. Dans ce monde en basculement, les incertitudes sont profondes. Les causes des crises financières sont toujours présentes. Elles sont même renforcées par la politique de Trump aux états-Unis. Il a décidé de revenir sur les timides réformes d’Obama qui consistaient à séparer les activités des banques entre le dépôt et l’investissement. Comme en France, cette loi proposait des critères flous. C’était trop pour Trump. La déréglementation revient en force. Le FMI met en garde contre le « démantèlement des réglementations financières » qui pourrait provoquer une nouvelle crise financière.

La politique monétaire de la Banque Centrale de Chine renforce ce risque. Le gouvernement a décidé une augmentation du crédit aux entreprises pour alimenter sa croissance dont la faiblesse pourrait faire prendre conscience des profondes inégalités et allumer la mèche d’une implosion politique. Cet endettement privé pourrait provoquer, en cas de défaut de paiement, une énorme déflagration qui s’étendrait au reste du monde. Cette politique, pour l’instant, fonctionne. La croissance chinoise ne baisse plus mais la tendance à la surproduction persiste.

La crise de la zone euro n’est pas finie. Les banques italiennes souffrent de créances douteuses. Les faillites ont été évitées pour le moment, comme pour les banques espagnoles ou portugaises. Les banques allemandes ne sont pas à l’abri… Malgré l’expérience de 2007-2008 aux États-Unis avec les subprimes – une titrisation des créances des ménages – les banques de la zone euro développent à leur tour une titrisation tout azimut. Là encore, les risques de crise financière sont présents.

Il n’est pas possible de prévoir la date d’éclatement de cette crise. Une certitude dans ces incertitudes généralisées est qu’elle aura lieu, qu’elle sera mondiale et provoquera une récession plus profonde que celle de 2008. Pour le moment aucun gouvernement ne s’y est sérieusement intéressé. Il y a un laisser-faire douillettement installé dans le libéralisme, dans ces théories néo-classiques incapables de voir la réalité du capitalisme.

L’euphorie actuelle des marchés financiers – le NASDAQ a enregistré un score jamais vu, Wall Street aussi – est à la merci de n’importe quel événement géopolitique… ●

Nicolas Béniès