Le foot, Mozart et les nazis

Il paraît que le foot a eu son Mozart. Il s’appelait Sindelar.

Il était autrichien à l’époque de Stephan Zweig. À cette infortune, Sindelar a ajouté la même que son illustre contemporain : lui aussi était juif.

Certes, pendant des années cela n’a guère eu de conséquences. Sindelar a largement contribué aux succès de l’équipe nationale autrichienne.

Dans le Vienne des années 30, cela fait de lui une star et lui vaut l’admiration intangible du jeune Marcus qui passe le plus clair de son temps libre à l’imiter la balle au pied, en bas de son immeuble.

Bientôt aura lieu le dernier match de la sélection autrichienne, contre l’Allemagne. Les deux pays sont sur le point de fusionner, à l’instigation des nazis au pouvoir à Berlin depuis quelques années.

Marcus est un grand amateur de foot comme son père et il s’enthousiasme à l’idée d’aller voir ce match historique. Réunies, les deux équipes nationales, allemande et autrichienne devraient faire un malheur à la Coupe du monde, avec à sa tête le Mozart du foot, croit-il naïvement.

Un enthou­siasme parallèle à celui qu’il éprouve à la perspective, vantée tous les jours à l’école, de faire désormais partie de la Grande Allemagne.

Le ballon rond et les Stukas sont, à ses yeux d’enfant trompé par la propagande, les mêmes manifestations de la grandeur nationale retrouvée grâce à Hitler.

Son père, pourtant, ne partage guère cet engouement mais il hésite à en faire part à la table familiale.

C’est jusqu’à l’intérieur des familles que le poison de la terreur s’est insidieusement infiltré. Il fait partie de ceux qui, envers et contre tout, se réunissent la nuit, secrètement, pour tenter, à leur modeste échelle, d’entraver le triomphe nazi.

Difficile, avec un tel sujet, de trouver une happy end.

Sindelar tentera certes un ultime pied-de-nez aux nazis qui de toute façon ne lui promettent, on le sait, que l’enfer de l’extermination.

Il échappera toutefois aux chambres à gaz puisqu’il sera retrouvé mort avec sa compagne dans son appartement. Beaucoup n’ont jamais cru au suicide…

L’espoir réside sans doute dans l’attitude de Marcus qui finira par accompagner son père aux funérailles, ultime acte de résistance de masse en Autriche avant la longue nuit que la barbarie nazie imposa au monde.

Un très bel hommage, aux images délicates, d’un réalisme qui n’est pas sans rappeler le peintre américain Hopper et qui s’adresse plutôt à des jeunes du collège. ●

Stéphane Moulain

Fabrizio Silei & Maurizio A. C. Quarello,

Carton rouge Matthias Sindelar –

le Mozart du ballon rond, Âne bâté, 15,9 euros.