Argentine : « La résistance s’organise dans tous les secteurs »

Nous avons demandé à Maria Laura Stirnemann, membre de l’Assembléede citoyens argentins en France (Acaf) de nous informer sur la personnalitéet le programme de Javier Milei, vainqueur avec 55,7 % des voix lors de l’élection présidentielle en Argentine.

Qui est Javier Millei et quelle est son orientation politique et sociale ?

Le 19 novembre dernier, Javier Milei remporte les élections en Argentine avec 56 % des voix. Ultralibéral d’extrême droite, il se définit lui-même libertarien, anarcho-capitaliste. Au Forum de Davos, il a accusé le féminisme, le collectivisme et le socialisme des crises économiques en Argentine et dans le monde. Il s’est fait connaître en Argentine pendant la pandémie et la longue période de confinement au travers d’une campagne sur les réseaux sociaux qui a eu un écho particulier auprès des jeunes qui travaillent dans l’auto-entreprenariat très répandu dans le secteur des services, caractérisé par un capital culturel assez bas et une méfiance à l’égard du politique en général.

Qu’est-ce qui lui a permis de gagner ces élections avec autant de facilité ?

Avec une inflation à deux chiffres, le gouvernement d’Alberto Fernandez et, notamment, son ministre de l’Économie Javier Massa, qui était en compétition avec Milei dans les élections présidentielles, n’ont pas su convaincre l’électorat.

Par ailleurs, la classe moyenne conservatrice proche de Propuesta Republicana (PRO), a voté massivement en sa faveur car le parti s’est rallié à Milei au second tour.

Milei a ainsi remporté les élections avec un discours « dégagiste » anticastes qui n’est pas loin de rappeler le « que se vayan todos » (qu’ils s’en aillent tous) de la crise sociale de 2001 lors de la banqueroute de l’État.

Quel programme Millei met-il en place dès sa prise de fonction ?

Dès les premiers jours de son investiture, Milei a tenté d’installer une dictature institutionnelle.

D’abord en imposant un «décret de nécessité et d’urgence » de 366 articles qui n’ont pas encore été débattus par le Parlement et qui remettent en question les principes mêmes de notre construction démocratique depuis la fin de la dictature militaire.

Ensuite, en installant un État policier avec le protocole de sécurité de la ministre Patricia Bullrich qu’on a vu à l’œuvre lors des manifestations devant le Congrès au moment du débat parlementaire de la loi Omnibus(1), où les manifestant.es ont été réprimé.es avec une rare violence et les journalistes attaqué.es de manière ciblée.

Enfin, en utilisant la violence médiatique, lorsque Milei insulte de manière systématique sur les réseaux sociaux les député·es qui n’ont pas voté son projet de loi ou les personnalités du monde de la culture qui critiquent ouvertement sa politique d’austérité. Cela a été le cas du feuilleton des échanges avec l’actrice Lali Esposito et aujourd’hui même, contre des gouverneurs de droite, comme celui de la province de Chubut.

Cette « dictature institutionnelle » est au service d’une politique économique d’ultra-austérité : une dévaluation du peso de 118 %, une inflation de 50 % en 2 mois et un taux de pauvreté augmenté de 44 % à 57 % dans cette période, soutenue par un discours d’équilibre budgétaire et d’un lointain « ruissellement ». Une bonne partie des mesures économiques vont directement favoriser les affaires de spéculation financière, dans lesquelles sont impliqué·es des membres du gouvernement, d’autres bénéficieront aux puissants groupes étrangers pour la spoliation des ressources naturelles.

Comment l’opposition à ce régime s’exprime-t-elle ?

Comme toutes ces fausses « bonnes idées » du néolibéralisme ont déjà échoué dans le passé, on peut imaginer de manière assez claire un futur climat social sous tension.

À l’appel de la CGT, l’ensemble des syndicats ont déjà organisé la réussite de la journée de grève générale du 24 janvier dernier et restent très mobilisés pour mettre la pression sur le gouvernement qui a déjà dû reculer, notamment, en ce qui concerne le traitement de la loi Omnibus retirée du débat parlementaire.

La résistance s’organise dans tous les secteurs, les mouvements sociaux, les organismes des droits humains, l’éducation, la culture, le mouvement des femmes etc. La résistance s’organise également depuis, avec la solidarité qui s’est exprimée un peu partout dans le monde devant les différentes ambassades lors de la journée du 20 décembre dernier.

Milei est arrivé au pouvoir par les urnes, soutenu par les grands capitaux concentrés, on a vu des fonds vautours comme la multinationale Blackrock à l’œuvre pour financer sa campagne, mais cela ne lui confère pas le droit de gouverner comme un tyran et s’il semble ignorer le patrimoine de valeurs dont notre peuple a su investir sa construction démocratique, ce n’est pas pour autant qu’il n’existe pas. ■

Propos recueillis par Bernard Deswarte

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