Contribution aux débats du CDFN de la FSU de juin 2019

Même si elle a été moins importante que prévu, l’abstention reste le marqueur des dernières élections européennes : distance des français avec la « chose » politique, désintérêt de la question européenne, désarroi face à la multiplication des listes, défiance envers les institutions politiques en général…
La bipolarisation orchestrée autour du RN et de LREM a rempli ses promesses ; les candidats de gauche ont payé, entre autres choses, le prix de la division ; l’ascension imprévue des écologistes témoigne de la préoccupation majeure de la jeunesse, notamment, pour la problématique environnementale.
Certes, le gouvernement ne sort pas affaibli d’un tel scrutin tant il a su manœuvrer pour liquider LR et récupérer certains de leurs élus, dans le but de reconstituer un parti de centre droit : il y parvient déjà, son « nouveau monde » n’invente donc rien. Il n’en sort pas gagnant non plus car le RN est devant lui. E. Macron n’est pas conforté par ces élections, aucune légitimité ne peut lui être reconnue avec un tel taux d’abstention et au sortir d’une année de conflits sociaux en continu.

Au lendemain des élections européennes, la place occupée par l’extrême droite dans de nombreux pays doit nous inquiéter, les partis ont en effet obtenu un gain conséquent de sièges au Parlement, puisqu’avec une centaine de sièges, ils ont triplé le nombre de 2014 : en France comme en Italie notamment, l’extrême droite est arrivée en tête du scrutin. Pour autant, sa percée est assez contrastée et très inégale selon les pays : Aube dorée en Grèce ne fait plus recette, par exemple, et le parti d’extrême droite aux Pays bas est lui aussi en baisse notable. Ce constat doit nous inciter à poursuivre la lutte contre la montée des idées d’extrême droite : cette lutte est indissociable de celle que nous menons au quotidien contre la politique libérale que mène le gouvernement. Macron s’érige en rempart contre la montée de l’extrême droite, mais au travers de sa politique ultra libérale, il pousse quantité d’électeurs vers un RN dédiabolisé et qui se pare d’un discours prétendument social. Il nous faut donc déconstruire le discours de l’extrême droite et parallèlement, affronter Macron et son monde et porter des alternatives pour une orientation radicalement différente de la politique à l’œuvre. Dans de nombreux domaines, des poussées réactionnaires se font jour : les discriminations (LGBTIphobies, racisme, sexisme…) se multiplient et se traduisent par une recrudescence des agressions violentes ; le droit à l’IVG perd du terrain à travers le monde, les droits des femmes sont clairement menacés. Sur ce terrain aussi, il nous faut lutter sans relâche pour garantir et conquérir des droits. Quant à la politique migratoire dont Macron a fait un sujet central du grand débat, alors que cela ne répondait pas à une préoccupation majeure de la population, E. Philippe a clairement énoncé le 12 juin les intentions du gouvernement : revoir tous les ans la loi Collomb, jugée « obsolète », c’est-à-dire durcir encore un peu plus les conditions d’accueil des migrant-es, comme l’illustre la première expulsion vers la dictature violente qu’est l’Érythrée, que la Cimade vient de dénoncer.

La situation de l’emploi et le droit du travail sont très dégradés : le rapport 2019 de l’observatoire des inégalités indique que plus de huit millions de personnes sont en situation de mal-emploi et que la précarité, stabilisée durant 10 ans, augmente depuis 2014. La France compte un million de travailleurs pauvres…
Les élections européennes ont eu aussi comme conséquence de retarder l’annonce de plans sociaux. Début juin, les coups portés à l’emploi industriel sont violents : les entreprises Whirlpool à Amiens, Général Electric à Belfort, ou encore Ascoval dans le Nord sont sous le coup des suppressions de postes et de la menace de fermeture de sites. Chez Bic, Radio France, les coupes budgétaires sévissent aussi. Dans la Fonction publique hospitalière, un nombre important de services des urgences a fait grève durant trois mois pour dénoncer les conditions de travail, le manque de moyens et la dégradation des conditions d’accueil des patient-es avant que le gouvernement ne daigne réagir : plus de 100 services étaient en grève le 14 juin, c’est alors seulement qu’il a concédé quelques « miettes » pour tenter d’éteindre la colère légitime des personnels. Cette prise en compte bien qu’insuffisante des difficultés montre qu’il est possible de l’emporter quand la lutte est résolue, c’est un encouragement à engager et poursuivre les mobilisations à tous les niveaux du SP. La précarité fait parler d’elle quand elle entraîne la mort des travailleurs, comme celle de livreurs de repas Uber Eats… La souffrance au travail ne cesse de faire des victimes : alors que se tient le procès de France Télécom, c’est au tour de la SNCF de connaître le même type de management. Un an après la lutte contre la réforme ferroviaire, les conséquences sont visibles : fermeture de lignes, de gares, et suppressions d’emplois massives. Les cheminots perçoivent les effets de la course permanente à la rentabilité et de la concurrence, ils déplorent eux aussi des suicides liés aux conditions de travail dans leurs rangs…
Pourtant, le projet du gouvernement vise à durcir sa politique à l’encontre des salarié-es et des chômeurs-ses : la prochaine réforme de l’assurance chômage va encore réduire leurs droits.

Intensification des réformes

Les inégalités sociales se renforcent et les cadeaux aux plus riches consentis depuis l’arrivée de Macron ne font qu’aggraver la situation. Alors que la question sociale a été portée tout au long de l’année, notamment à travers le mouvement des GJ, alors que les mobilisations contre la politique du gouvernement ont jalonné les derniers mois, il ne change pas de cap : quel que soit le motif de son allocution, Macron n’en change pas la conclusion et confirme qu’il entend « intensifier les réformes ». Ce pouvoir autoritaire a « répondu » à la crise sociale par une violence d’état à tous les niveaux : répression judiciaire, violences policières, criminalisation des mouvements sociaux, recul des droits et libertés collectifs. Ce pouvoir se réclame davantage de l’ordre que de la démocratie, un ordre qu’il entend imposer par la brutalité et la privation de droits. Une politique de l’ « ordre » qui s’ancre toujours plus à droite, qui durcit encore sa politique migratoire et sa chasse aux migrants, qui mène une guerre sociale contre toutes les populations les plus fragiles.
La loi de destruction de la Fonction Publique (FP) va non seulement porter atteinte aux agent-es, à leur statut, à leurs conditions de travail, mais elle va aussi dégrader les droits de l’ensemble de la population en réduisant de fait l’accès aux services publics (SP) : la libéralisation des SP (recours accru au contrat pour les agent-es, mise en marché de pans entiers de SP, le tout sur fond de suppressions de milliers d’emplois) sera un facteur de rupture d’égalité dans notre société et pénalisera en premier lieu les populations les plus en difficulté.
Le projet de réforme des retraites va lui aussi paupériser une partie de la population, notamment les travailleurs-es les plus âgés, pas toujours en activité après 55 ans, mais pas encore en retraite…De façon générale, la réforme va se traduire par une baisse de revenus pour la majorité, en particulier pour les fonctionnaires, parmi lesquels les femmes sont en plus mauvaise posture… Tous nos acquis sociaux sont attaqués.

Rejet total de la politique éducative Blanquer

Dans l’éducation, l’année a été marquée par les mobilisations : en décembre, les lycéen-nes se sont opposé-es à la réforme du lycée, ils-elles ont été violemment réprimé-es par les forces de police à cette occasion, et l’action du collectif de soutien aux jeunes de Mantes vient nous le rappeler. Les enseignant-es ont mené des actions toute l’année (démissions collectives de professeur-es principaux-ales, occupations de lycées, rétention de notes, grèves), se sont organisé-es en AG et au sein de collectifs d’établissements, pour contester la réforme du lycée, du bac, pour protester contre les programmes des spécialités ou encore contre la baisse du volume des enseignements généraux en LP. L’article 1 de la loi Blanquer, qui cherche à bâillonner les personnels, a suscité une forte colère, tout comme l’article créant les EPSF. La mobilisation a été forte sur ce point, surtout dans le premier degré, et a entraîné le retrait de cet article, ce qui est une belle victoire. Il est donc possible de faire plier Blanquer sur une de ses mesures phares. Une action à rééditer rapidement car la philosophie globale de la loi demeure néanmoins : c’est une école à multiples vitesses qui se dessine, à rebours de toute volonté de démocratisation, où règnent la concurrence, la sélection et le tri social ; les personnels, soumis à une culture de l’évaluation systématique et à un contrôle permanent de l’institution via les politiques managériales, sont bien malgré eux, les complices d’un tel projet. C’est pour refuser cette école dite de la « confiance » qu’ils se sont mobilisés depuis le 19 mars et jusqu’au 13 juin (jour du passage de la loi en commission mixte) dans le premier degré, et encore le 17 juin (premier jour des épreuves du bac) dans le second degré. Alors que les réformes (lycée, bac, Parcoursup) et la loi (école de la confiance) procèdent d’une même logique d’ensemble, et tracent l’école du tri social voulue par Blanquer, il n’a pas été possible, au-delà du 18 mai, de donner un tour fédéral aux revendications ni aux modalités d’action : cette fragmentation n’est pas propice à la mobilisation et ne peut qu’affaiblir le rapport de forces.

Au terme de cette année, le syndicalisme est interpellé : sur plusieurs points, très différents, il est bousculé et se doit de penser son évolution : renforcer ses liens directs avec le salariat, s’ancrer dans le mouvement social. La loi FP et l’attaque frontale contre le paritarisme, les modalités d’action et la stratégie syndicale, l’absence de « dialogue social », tout cela oblige à repenser les modes d’intervention et d’organisation pour peser efficacement contre les politiques libérales : cette réflexion doit se mener également dans un cadre intersyndical avec nos partenaires de transformation sociale. De la même façon, c’est avec eux qu’il faut analyser l’existence du mouvement des GJ, sa durée, sa portée, et l’incapacité dans laquelle le monde syndical a été de prendre appui sur ce mouvement pour enclencher une dynamique de lutte chez les salarié-es afin de généraliser la contestation contre ce pouvoir alors même qu’il était fortement fragilisé. La séquence sociale créée par le mouvement des GJ et par la violence d’Etat qui en a découlé va impacter profondément et durablement la société : il y a un avant et un après GJ, il est illusoire de penser faire du syndicalisme « comme avant ».

La question écologique a donné lieu tout au long de l’année à de multiples mobilisations, souvent massives, et qui ont touché une part importante de la jeunesse. En France, cette préoccupation s’est traduite également dans le vote pour EELV aux dernières élections. Pourtant, la politique du gouvernement ne connaît aucune inflexion en faveur de l’écologie, au contraire. Dans son discours de politique générale le 12 juin, le premier ministre n’a apporté aucun élément de réponse à l’urgence climatique. Pour la FSU, faire de la transition une question centrale, juste socialement, est indispensable et nécessitera de mener toutes les mobilisations nécessaires, en rassemblant citoyen-nes, collectifs, associations, forces politiques et syndicales pour construire un rapport de forces à la hauteur de l’enjeu.

A la rentrée, le referendum au sujet d’ADP est un moment important. Le syndicalisme doit y jouer un rôle pivot en construisant du lien social ; la FSU en particulier pourra à cette occasion s’adresser aux usager-es et participer à la campagne pour défendre les services publics et s’opposer aux privatisations. Aux côtés des associations, des partis politiques, et en menant un travail intersyndical, elle doit en faire un enjeu de mobilisation citoyenne.

Parce que le syndicalisme reste un outil indispensable pour mener les luttes à venir, à commencer par celle des retraites, il est nécessaire que la FSU impulse une rencontre avec la CGT et Solidaires (et les OS de lutte et de transformation sociale) afin de mettre en place un espace de travail régulier pour élaborer et construire la mobilisation dès la rentrée.