La Capitana

Mais qui était donc cette capitana, femme-soldat qui semble diriger de manière impérieuse sa colonne de miliciens du POUM malgré les bombardements dans les ruines de la petite localité de Sigüenza ?

Pour l’heure en ce mois d’octobre 1936, elle se demande s’il est bien judicieux de s’enfermer dans la cathédrale pour résister le plus longtemps possible aux fascistes qui progressent vers Madrid et ce dans l’attente d’hypothétiques renforts.

Cette femme, c’est Mika, venue de la lointaine Argentine persuadée que le salut de la révolution ne pouvait attendre et que c’était en Europe qu’il se jouait.

Elsa Osorio, qui nous conte son histoire exceptionnelle, semble avoir quelques points communs avec son héroïne. Elle aussi est argentine, a vécu en Espagne et en France. Il y en a sans doute d’autres, moins évidents mais tout aussi décisifs, comme ces amis communs qu’elles ont eus sans jamais pourtant se rencontrer.

Ils ont contribué à cette fascination qu’Elsa Osorio arrive à transmettre pour Mika Feldman, fille de juifs émigrés en Amérique pour fuir les pogroms de la Russie tsariste.

**La diaspora polyglotte des militants révolutionnaires

Jeune étudiante, Mika a lié sa vie amoureuse et militante à Hipólito, alors jeune anarchiste, avec lequel elle va courir le monde de la Patagonie à l’Europe.

Le couple débarque à Berlin en 1932 alors que la campagne pour les dernières élections libres que connaîtra l’Allemagne fait rage. Le séjour allemand sera bref mais éprouvant.

Hipólito fait la chronique des événements auxquels ils ont assisté et la publie dans une revue militante française de l’époque[[Il s’agit de la revue Masses dirigé par René Lefeuvre qui les édite ensuite en brochure sous les éditions Spartacus :

Hippolyte Etchebéhère,

La tragédie du prolétariat allemand,

(dernière édition : 2010)]].

C’est en France qu’ils participent aux journées fiévreuses de la montée du Front populaire, militant au sein du groupe « Que faire ? ». En juillet, ils sont en Espagne pour défendre la révolution les armes à la main.

On l’a compris Mika n’est en rien un personnage de fiction. Elle a réellement existé, de même qu’Hipólito. Le récit de « sa guerre à elle » paru en français[[Et rééditée récemment : Mika Etchebéhère,

Ma guerre d’Espagne à moi,

Libertalia, 2015.]] l’atteste d’ailleurs.

Mais Elsa Osorio ne donne ni dans le roman historique ni dans la biographie classique. Le récit qu’elle nous livre s’agence comme un puzzle, une fresque au désordre apparent dans lequel on aimerait se perdre.

La chronologie, certes malmenée, nous ramène cependant insidieusement à sa logique inéluctable. C’est le récit du long chemin qu’a du effectuer Elsa Osorio pour rencontrer le personnage de Mika. Non pas une enquête, mais une quête.

Dans ce livre où l’émotion ne cesse d’affleurer, Elsa Osorio fait revivre la chaleureuse fraternité de cette petite diaspora polyglotte de militants révolutionnaires qui ont tenté avec des moyens dérisoires de lutter contre les tragédies de la première moitié du siècle.

En dépit de leurs vies fracassées, ils auront au moins réussi à faire survivre jusqu’à nous les idéaux d’émancipation qui les portaient. Les miliciens du POUM ont fini par se retrancher dans la cathédrale de Sigüenza, Mika est l’une des rares à en avoir réchappé. ●

Stéphane Moulain

✓ Elsa Osorio, La capitana, Métailié/Suites, 12 euros.