Deux regards sur le socle

À la rentrée scolaire 2015 se mettra en place le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Nous avions analysé le projet initial (voir revue n° 49) avec une certaine indulgence…

Le résultat final appelle de notre part une critique contrastée : si ce n’est certes plus le socle Fillon, issu des compétences clés du processus de Lisbonne, ce n’est pas non plus un texte qui permettrait la construction d’une école réellement émancipatrice. Regards croisés des premier et second degrés…

Socle commun : renforcement d’une école libérale ?

À l’occasion de la publication de la première mouture de ce socle, nous avions fait une analyse du document soumis à la consultation des enseignants qui mettait en évidence la distance entre les intentions du ministère et ce qui pourrait être de notre point de vue un réel projet émancipateur pour l’école : ce socle se situe bien dans le cadre d’une politique réformiste de l’école en cohérence avec une vision libérale de la société.

Il n’en demeure pas moins que ce socle n’est pas celui de 2006 et malgré les tergiversations du ministère et les nombreux allers-retours entre DGESCO et CSP, les organisations syndicales ont eu leur mot à dire.

Le texte adopté est donc le fruit d’un compromis, insatisfaisant à de nombreux égards, entre les tenants de la stratégie de Lisbonne et des forces qui la dénoncent et la combattent.

**Une feuille de route en trompe l’œil

Ce résultat final en demi-teinte ne doit pas obérer, du fait même du maintien des concepts de socle et de compétence, la nécessité d’une critique radicale de ce texte pour contrecarrer la complaisance qui pourrait se développer vis à vis de la politique éducative ministérielle au prétexte que ce socle serait moins pire que le précédent.

Cette analyse doit nous permettre d’appréhender politiquement les réformes à venir, réformes qui auront beaucoup plus d’impact sur le métier et sur le devenir de l’école que ne peut en avoir la seule adoption du socle par le CSE.

De façon plus générale, que le ministère dote le système éducatif d’une feuille de route pour la scolarité obligatoire n’est pas scandaleux, que ce document n’ait d’autre ambition que de donner bonne conscience aux décideurs et que les réformes effectivement mises en place au mieux ne le traduisent pas dans les faits et au pire le contredisent l’est bien davantage.

**Orientation libérale mal assumée

En ce qui concerne par exemple la notion de compétence, qui est apparue, rappelons-le, concomitamment dans le milieu de l’entreprise et dans les mouvements pédagogiques (Freinet, Pédagogie institutionnelle…), son maintien brouille toujours le débat.

Que le CSP ait voulu gommer la dimension franchement utilitariste issue du monde de l’entreprise et très présente dans le socle Fillon ne garantit pas pour autant qu’une autre acception du vocable soit actuellement opérante.

La pression politique et sociale et le pilotage qui s’exercent sur l’école aussi bien que le manque de formation des enseignants en font foi. Il en va de même pour la démocratisation de l’école : il a fallu que la FSU intervienne pour que, à plusieurs reprises dans le texte, le « pour tous les élèves » remplace le « pour chacun ».

Nuance sémantique qui laisse entendre que la volonté de rupture affichée ne résiste pas longtemps au formatage des esprits et du discours produit par l’orientation libérale assumée des précédents gouvernements, libéralisme qui a insidieusement et profondément modifié dans la plupart des esprits le sens de ce que pourraient être la démocratisation de l’école et l’émancipation des individus.

**Des régressions en perspective

Pour cette raison il est très inquiétant que les pans les plus décisifs de la politique éducative n’aient pas été présentés en même temps que le socle. Contenus et structuration des enseignements, modalités d’évaluation et de certification, réforme de collège… sont autant d’aspects qui dévoileront le véritable sens de la politique éducative de ce gouvernement.

La réforme du collège peut par exemple entrer en conformité avec les attendus du socle et signer dans le même temps la fin du collège unique et donc aller à l’encontre de la démocratisation.

La notion d’inclusion ou la réforme des SEGPA actuellement en discussion peuvent aussi, sous couvert d’intentions d’égalité développées dans le socle, conduire les élèves les plus fragiles à être scolarisés dans des conditions qui ne leur permettront pas d’accéder à un niveau scolaire satisfaisant.

Plus que le socle lui-même c’est bien son interprétation dans les faits qui sera déterminante et qui nécessitera une critique intransigeante de la part des organisations syndicales et de la FSU. En portant plus que jamais la poursuite de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans et en exigeant un budget à la hauteur. ●

Claude Gautheron


Infléchir la logique du socle

En juin 2014, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a publié le projet d’un nouveau socle commun de compétences, de connaissances et de culture dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École.

Un changement de logique s’annonce, le nouveau socle de connaissances, de compétences et de culture rompt avec celui de 2005 en construisant une culture scolaire commune propice à la poursuite d’études plutôt qu’un référentiel de compétences utilitaristes visant une employabilité…

**Loin des objectifs annoncés

Ce projet a été soumis aux équipes éducatives pour consultation en deux temps : demi-journées banalisées dans la majorité des écoles et des collèges pour permettre une réflexion collective puis renseignement d’un questionnaire individuel en ligne.

Najat Vallaud-Belkacem a ensuite commandé au CSP une version plus réduite du socle. Mais cette requête a été court-circuitée par la DGESCO qui en écrit une version moins ambitieuse, recentrée sur les « fondamentaux ».

Comment aurait-il pu en être autrement ? Malgré la priorité annoncée pour l’éducation, la refondation annoncée ne s’est guère, jusqu’alors, traduite par une réelle rupture avec les politiques éducatives précédentes.

Ainsi, dans le domaine 1 − les langages pour penser et communiquer − même s’il est rappelé que les langages sont « à la fois des objets de savoir et des outils », ils sont surtout mis en avant comme « outils ».

Pour les langages scientifiques, là où le CSP écrit « l’élève a compris ce qu’est un système de numération. Il donne sens à l’écriture et à la lecture des nombres », la DGESCO reformule « il utilise les principes du système de numération décimal ».

Quant aux compétences attendues en langues vivantes étrangères et régionales, toujours liées au cadre européen commun de référence pour les langues, elles visent principalement la maîtrise d’éléments du quotidien et la culture ne fait pas l’objet d’un travail à part entière.

Très critiqué dès sa 1ère version, le domaine 3 – la formation de la personne et du citoyen – n’a guère été modifié. Il égrène des « savoirs être attendus » et s’enferme dans une vision normative de la citoyenneté.

Les débats post-Charlie figent toute évolution du texte. Le texte proposé passe à côté de l’occasion d’introduire un vrai apprentissage de l’esprit critique à l’école.

**Sortir des cadres imposés

Le paragraphe sur l’évaluation qui apparaissait dans le projet du CSP a disparu.

Même si dans sa présentation du texte lors du CSE, Najat Vallaud-Belkacem a annoncé l’abandon de la logique du Livret personnel de compétences (LPC), le risque d’y revenir n’est pas écarté.

Au contraire de ce que nous demandions, ce socle sera bien évalué. Des pistes sont évoquées : un bilan en conseil de classe à chaque fin de cycle et un Diplôme national du brevet (DNB) revisité pour participer à sa validation. Aucune compensation entre les domaines ne serait possible.

On attend un texte du ministère en mai pour en fixer les règles. Il est donc encore temps d’agir pour porter ce que nous voulons : sortir des cadres imposés rigides éloignés des pratiques de classes qui remettent en cause notre liberté pédagogique.

Au CSE, la FSU s’est abstenue lors du vote sur ce socle, à croire que la direction nationale n’a pas retenu la leçon du décret sur les ORS.

Désormais, le projet de réforme du collège et les projets de programmes sont connus, il n’est plus possible de se voiler la face. Les moyens ne sont pas au rendez-vous, au contraire.

Le gouvernement préfère proposer comme solution la remise en cause des disciplines et le renforcement de l’autonomie des établissements. Il est temps de mener la bataille pour infléchir la politique mise en œuvre. ●

Amandine Cormier