Contribution de l’EE à l’entrée du CN : Agir syndicalement dans la période

Deux semaines ne nous donnent pas nécessairement un recul suffisant pour analyser de façon assez fine cette première rentrée, politique, sociale, scolaire, marquée du sceau de la pandémie. Lors de ce Conseil national, il nous faut néanmoins tirer collectivement les premiers enseignements de cette période, pour rendre pleinement agissants le mouvement social et notre outil syndical.

Nous disions il y a maintenant deux semaines, lors du CN de pré-rentrée que « le COVID-19 constituait par bien des aspects un crash-test du capitalisme : il met en lumière les ressorts de son organisation, en dévoile les faiblesses, en particulier dans sa capacité à résoudre les problèmes soulevés par la mise en sûreté de l’ensemble de la population, révèle de manière exacerbée un régime général des inégalités et donne à voir un certain nombre de contradictions qui ne se sont pas résolues d’elles-mêmes ». Ces mots conservent aujourd’hui leur pertinence. Nous faisons toujours face à un ébranlement de ce niveau-là, à une des crises les plus marquantes du siècle. Mais aujourd’hui, ce qu’il nous faut regarder, c’est ce que font les acteurs et actrices en présence. Le pouvoir. Bien sûr. Mais aussi le salariat, les métiers de l’éducation. Et le mouvement social. Au moment où l’épidémie reprend de la vigueur, où les premiers signaux d’alerte du monde médical sont émis, le « tout est sous contrôle » d’un ministre de l’Education nationale ne tient plus que parce qu’il y croit.

Une mobilisation qui souffre de collectifs abîmés, et du désir de normalité

Si le mouvement social, après la séquence marquée par la lutte contre la réforme des retraites, a pu faire preuve d’une forme de sidération lorsqu’en mars dernier le traitement par le gouvernement de la pandémie a impliqué le confinement de la population, il a depuis réouvert les perspectives d’action.

En juin dernier, la journée de grève des personnels hospitaliers est venue rappeler les revendications anciennes quant à la nécessité d’augmenter les moyens pour le service public de santé. Dans le même temps des manifestations singulièrement fournies pointaient du doigt les violences policières et le racisme systémique dont les classes populaires racisées sont les plus victimes.

La rentrée n’est pas en reste avec la journée de mobilisation du 17 septembre à l’appel de la CGT, SUD, la FSU et les organisations de jeunesse. Nous avons dans le champ de l’éducation lancé la campagne contre les évaluations nationales. Nous sommes bien conscient.es des enjeux et des difficultés à mobiliser mais il est de notre responsabilité de créer des dynamiques de lutte à même de s’opposer aux politiques menées par le gouvernement.
Nous souffrons des difficultés à faire du collectif. Les effets délétères de la période du confinement se font toujours sentir. Les règles sanitaires, indispensables dans la lutte contre l’épidémie, font obstacle à nos modes habituels de réunion de la profession, ou d’élaboration de stratégies collectives de lutte. De fait, les collectifs militants constitués lors de la mobilisation contre la réforme des retraites se sont distendus. Les démarches unitaires sont moins évidentes. Les outils traditionnels de la construction d’une convergence des luttes nous font défaut, à l’heure où tous les métiers, en particulier les plus socialement utiles, payent le prix fort de la gestion libérale à la crise, et où les classes populaires ont le statut de premières victimes.

Une participation massive à notre campagne contre les évaluations nationales a pâti de cela, ainsi que du désir de normalité dont font preuve les collègues qui, après plusieurs mois d’ébranlement du service public d’éducation, aspirent à pouvoir faire classe, à retrouver leurs élèves, comme avant. Cette campagne reste juste pédagogiquement et politiquement face à un Blanquer qui tente de masquer par des slogans tant l’insuffisance des moyens débloqués pour répondre à la crise que par la poursuite à marche forcée de sa politique d’augmentation des inégalités scolaires et du poids des déterminismes sociaux dans la réussite scolaire. Il nous faut identifier les moyens pour réussir à stopper net le ministre. Car, de retour à la normalité, il n’y aura pas. Car les décisions prises par le gouvernement nous enfoncent encore plus profondément dans la crise sanitaire et sociale, les risques au travail sont patents, les reconfinements probables et à l’agenda libéral qui est le sien il y a toujours le démantèlement des services publics et du bien commun.

La guerre de ceux d’en face

Le gouvernement, en cette rentrée, persiste à déblatérer son dogmatisme libéral qui a pourtant fait la preuve de son incapacité à répondre aux besoins sanitaires et sociaux en temps de crise, coupant les moyens d’action des services publics. Le plan de relance de 100 milliards d’euros est avant tout un plan de relance du monde d’avant. Il ampute les ressources publiques. Sur les 30 milliards débloqués en 2021, 20 milliards d’€ sont engloutis par un énième cadeau fiscal aux entreprises, quel que soit pour elles l’impact de la crise, et ce sans que cette aide soit assortie d’une conditionnalité sociale ou environnementale. Rien n’y est prévu pour lutter contre les licenciements qui se multiplient. Les sommes allouées aux minimas sociaux et aux personnes les plus précaires sont ridicules. Le budget des collectivités locales est réduit, alors qu’elles ont souvent pallié les manquements de l’Etat au plus fort de la crise sanitaire.

Ce plan de relance approuvé et porté aux nues par le MEDEF se situe dans la droite ligne de la politique économique et fiscale menée depuis l’arrivée de Macron à la présidence, et dont l’INSEE dévoile les premiers effets : les inégalités de niveau de vie se sont très fortement creusées en France en 2018. Les réformes de la fiscalité et des prestations sociales du début du quinquennat ont conduit à une augmentation de l’indice de Gini, qui mesure le degré d’inégalités de la redistribution des revenus, passant en un an de 0,289 à 0,298, niveau dépassé une seule fois depuis 1996, en pleine crise de la zone euro. Le niveau de vie des 5 % les plus aisé-es a progressé de 1,5 % quand le niveau de vie des 30 % les plus pauvres a reculé, d’abord du fait de la diminution des mécanismes de redistribution.

Même en temps de crise mondiale, les plus riches poursuivent leur entreprise de captation des richesses. D’après OXFAM, les 25 milliardaires les plus riches du monde ont vu leurs richesses augmenter de 255 milliards de dollars entre la mi-mars et la fin mai. 32 entreprises, qui comptent parmi les plus grandes multinationales de la planète, devraient enregistrer cette année une hausse spectaculaire de leurs bénéfices, soit 109 milliards de dollars de plus que leur bénéfice moyen réalisé au cours des quatre années précédentes. Les entreprises françaises ne sont pas en reste : le CAC 40 aura versé au moins 37 milliards de dividendes pendant la crise. Le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes de France a progressé de 3 % en 2020, battant ainsi un nouveau record.

Et cette guerre est aussi une guerre scolaire. Alors que la DEPP pointe que les orientations du ministre ont conduit à un écart de performance entre élèves de REP+ et élèves hors-REP, Jean-Michel Blanquer poursuit dans la voie d’une individualisation des parcours et des apprentissages, de resserrement sur les apprentissages fondamentaux et de mise sous tutelle de l’agir enseignant. Les évaluations sont la face la plus visible d’une logique qui s’insinue toujours plus dans l’ensemble des aspects de l’école, de la formation des enseignant-es aux outils déployés sur Eduscol, de la multiplication du prescrit s’affranchissant des programmes, d’expérimentation hors-cadre, à l’élaboration de manuels dessinant les contours d’une pédagogie officielle mettant à bas la liberté pédagogique des enseignant-es. Et les concessions salariales ridicules par leur montant, mises en discussion sont assorties de transformations majeures des métiers et des structures scolaires qui font avancer encore plus l’école dans une logique managériale dont les élèves des classes populaires et les personnels seront les premières victimes.

Faire campagne pour retisser les collectifs

Face à ce raz-de-marée libéral, on peut présager d’une réponse sociale qui ne soit pas à la hauteur, malgré le discrédit du gouvernement et le renforcement symbolique qu’ont pu connaitre tous les métiers, socialement utiles, par qui la société a tenu au plus fort de la crise.

Faut-il attendre des jours meilleurs ? Espérer la prise de conscience de toutes et tous de l’ampleur du mal avant de pouvoir proposer d’agir ? Non. Car ces jours meilleurs n’arriveront que si nous les rendons possibles.

C’est ainsi que, nous devons dans cette période bien singulière trouver les moyens de restaurer ce qui a fait la force du mouvement social : retisser des collectifs, en articulant information, partage d’analyses, débats et action. En faisant campagne.

Partant des cadres collectifs existants sur le terrain, notamment ceux issus de la lutte contre la réforme des retraites et ceux émergeant autour de « Plus jamais ça », nous pouvons retisser des cadres permettant de prendre en charge l’urgence du moment, qui est la construction de revendications et de mobilisations pour obtenir les moyens du respect du cadre sanitaire au travail.

Masques, tests, aménagements des lieux de travail (qu’ils soient scolaires ou non), suppression des jours de carence, moyens pour la recherche, politique de vaccination, recrutements dans les secteurs socialement utiles, développement des services publics, salaires sont des revendications qui à la lumière de la crise deviennent de façon plus évidente des revendications de toutes et tous.

Dans les écoles, nous devons multiplier les réunions (au plus près de ce que permettent les règles de distanciation), les stages, les prises de position collective vis-à-vis des IEN, DASEN, et inscrire nos propositions de mobilisation dans une perspective plus large de déligitimation de Blanquer et de ses orientations ainsi que dans la formulation d’alternatives. En ce sens, la campagne « éduc » du SNUipp-FSU ne peut se limiter à la pétition sur les évaluations, il nous faut développer et rendre disponible du matériel spécifique, organiser des réunions avec la profession, faire contre Blanquer feu de tout bois et construire pas à pas la participation du plus grand nombre à la lutte dans le cadre fédéral et en recherchant l’unité la plus large.

La réussite d’initiatives de collectifs locaux autour de l’appel « plus jamais ça: construisons ensemble le jour d’après » participent de ce tissage. Ainsi que l’investissement dans les mobilisations climat ou les démarches unitaires contre le racisme systémique dont l’agitation portée par un Darmanin ou un Macron évoquant un ensauvagement ou les séparatismes font preuve.
De ce point de vue, les débats budgétaires qui s’ouvriront dans les semaines qui viennent constituent une étape cruciale. Le projet de loi de finances que formulera le gouvernement ne manquera pas de bégayer le monde d’avant, porteur de régressions sociales et environnementales et de creusement des inégalités, scolaires, sanitaires, sociales. Nous devons hisser le salariat à la hauteur de l’affrontement que le gouvernement mène.

Cela implique de donner des perspectives d’actions, de proposer une grève unitaire tout en oeuvrant à construire les cadres collectifs permettant de convaincre le plus grand nombre que le monde d’après c’est d’abord celui que nous arracherons ensemble aux plus riches.