Christian Navarro : Les enjeux de l’après-Charlie

Les enjeux de ce CN portent sur l’analyse que l’on fait des élections professionnelles et ce que nous en tirons comme priorités politiques pour le SNUipp. Ils portent également sur la question de l’action avec la grève du 3 février. Mais voilà, l’histoire nous mord la nuque.

Ce week-end, nous étions dans la rue avec des millions de citoyens en réaction aux actes terroristes de la semaine dernière : la tuerie antisémite de Vincennes et l’assassinat politique d’une grande partie de la rédaction de Charlie Hebdo dans ses locaux.

Ces événements vont sans aucun doute marquer fortement la situation politique en France. Il s’agit d’actes lourds qui ont touché chacun. Sans qu’il soit simple aujourd’hui de se projeter dans l’après « Charlie », je soumets donc quelques réflexions au débat de ce CN.

Ces attentats interviennent alors que la France est aujourd’hui en proie à ses pires fantômes : l’intolérance, la xénophobie, le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme. Tout cela sur fond de crise sociale et d’aggravation des inégalités, ce qui entraîne l’exclusion sociale mais aussi territoriale et scolaire d’une partie de la population. Le tout dans un contexte de montée du FN crédité de près de 30% de vote.

Dans cette situation, les gigantesques mobilisations citoyennes de ce weekend ont constitué une première réponse. Contrairement à ce qu’on pouvait craindre la « guerre contre le terrorisme » n’a pas du tout éclipsé dans les cortèges la défense des libertés, le refus des amalgames et le refus du racisme. Et c’est tant mieux.

De par leur ampleur, les manifs ont de plus noyé les tentatives de main mise de certains partis : les manifs étaient trop massives pour se retrouver derrière qui que ce soit. Elles ont noyé aussi le casting de chefs d’état présents dans la manif à Paris dont certains n’avaient rien à y faire quand on voit leurs pédigrées en matière de respect des libertés voire de terrorisme. Enfin l’ampleur des manifs ont marginalisé momentanément le FN.

Mais ça c’était hier.

Maintenant tout le monde se projette dans « l’après Charlie » et tout l’enjeu réside dans le type de réponses qui seront apportées à ce traumatisme social et national.

Et là nous avons notre mot à dire parce que nous sommes une force sociale importante, que nos collègues étaient sans aucun doute massivement présents dans les manifs ce weekend et qu’il y a des attentes de la profession sur ce que nous disons de la situation et sur les réponses à y apporter.

Les première réponses du gouvernement sont, on ne peut plus prévisibles : l’accent est mis sur la sécurité et l’éducation.

Sur le sécuritaire, on n’a pas encore trop le détail des mesures mais on peut avoir de fortes inquiétudes sur tout ce qui restreindrait les libertés démocratiques. De telles mesures n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité et comme le dit Robert Badinter elles constitueraient une sorte de victoire posthume pour les terroristes. Vigilance aussi car on sait bien comment l’instrumentalisation des peurs et des angoisses actuelles, l’instrumentalisation du terrorisme peuvent alimenter l’idéologie sécuritaire mais aussi le racisme, tout particulièrement envers la population musulmane. A l’image de Sarkozy disant ouvertement hier, entre deux coups de menton, qu’il faut poser la question de l’immigration et de l’islam.

Sur l’éducation, le gouvernement est dans l’accessoire pour ne pas dire le dérisoire.

La ministre de l’Éducation nationale dit vouloir promouvoir une “grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République”. D’abord les enseignants ne l’ont pas attendu pour travailler ces questions avec leurs élèves. Mais surtout le débat n’est pas sur la transmission de ces valeurs mais celui de leur crédibilité. Tant qu’on mettra en avant des valeurs d’égalité, de fraternité et de liberté largement déconnectées de ce que vivent les élèves des classes populaires notamment dans un certain nombre de quartiers, tant que ces élèves ne vivront pas l’égalité en matière d’éducation, d’accès aux savoirs et à la culture ou lorsqu’ils croisent la police dans la rue, tout cela ne servira pas à grand-chose.

D’ailleurs ce weekend, il semble qu’il manquait dans les cortèges une partie de la France. D’après plusieurs témoignages, les banlieues populaires étaient peu représentées. Un peu comme si cette France des libertés, de la laïcité qu’on célèbre dans les manifestations ne voulait pas dire grand-chose pour eux. Comment s’en étonner quand depuis maintenant des dizaines d’années, cette France du travail précarisé et du chômage est peu à peu exclue de cette société qui s’est montré incapable d’offrir à toutes et à tous un métier digne et un revenu permettant de vivre décemment.

Et c’est sans doute là l’enjeu majeur.

Soit tout continue comme avant, et toutes les surveillances policières et toutes les mesures liberticides du monde ne serviront qu’à protéger la perpétuation d’un système économique et social profondément injuste. Et une frange infime certes, des plus désespérés et exclus, continuera à basculer dans l’irrationnel et le sectarisme criminel.

Soit on dit que les politiques d’exclusion, ça suffit ! Que les politiques libérales et l’austérité qui accroissent les inégalités ça suffit ! Et on lutte pour une autre répartition des richesses, pour de vraies politiques sociales, du logement, de l’emploi. Pour des politiques éducatives donnant mieux et plus à ceux qui ont moins, afin que chacun puisse trouver sa place dans cette société.