FSM de Dakar : Un bilan contrasté

Le retour du FSM en Afrique a été marqué par l’euphorie de la chute du régime de Ben Ali en Tunisie, la propagation de la révolte dans les pays arabes et l’espoir d’entrer dans un cycle dans lequel les peuples parviennent à construire l’histoire de leur émancipation.

A la veille du forum, en nommant à titre posthume Mohamed Bouazizi membre d’honneur de leur organisation, l’assemblée des vendeurs ambulants – les bana-banas – de Dakar a montré la voie au FSM. Cette espérance a parcouru le Forum, un forum qui pourtant, outre les problèmes logistiques – on n’est pas passé loin de la catastrophe – n’a pas tenu toutes ses promesses. Pour la première fois de son histoire, le FSM avait lieu pendant une révolution populaire qui a montré ce que veut dire dans la pratique le slogan du forum, Un autre monde est possible ! Et pourtant « l’ordre du jour » du Forum n’a guère été modifié et le Forum, même sur cette question, n’a pas débouché sur une initiative significative.
La place des mouvements sociaux dans l’organisation du FSM semble plus faible (derrière les ONG, voire les institutions). La faible participation syndicale et notamment celle de la CSI (Confédération syndicale internationale) qui s’est rendue à Dakar avec une très faible délégation, est aussi un signe de préoccupation.
Tout avait pourtant bien démarré avec une marche d’ouverture, le dimanche 6 février, réunissant plusieurs dizaines de milliers de manifestants et avec une participation de nombreux mouvements sociaux africains.
Quelques jours auparavant, sur l’île de Gorée d’où sont partis des centaines de milliers d’esclaves vers les colonies antillaises et d’Amérique du Sud, une « Charte Mondiale des Migrants pour un monde sans murs » avait été rédigée comme point de départ, faisant des migrants non pas des victimes mais des acteurs de mouvements sociaux pour transformer le monde.

Dakar…

Près de 5 millions de personnes (soit la moitié de la population sénégalaise) vivent dans l’agglomération de Dakar, sur 550 km2. Une population concentrée sur cette petite portion du territoire national. Les dizaines de milliers de jeunes refoulés d’Europe (l’Europe forteresse !) se retrouvent dans les faubourg de la capitale. Les coupures d’électricité sont fréquentes et les manifestations spontanées de jeunes contre ces coupures aussi. C’est à l’université Cheikh-Anta-Diop, la plus grande université d’Afrique de l’Ouest – elle accueille 70 000 étudiants – que se tenait le forum (là-même où Nicolas Sarkozy avait déclaré que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire »). Pendant le forum, des étudiants et lycéens ont lancé un ultimatum au président Abdoulaye Wade, et entamé une grève de la faim. Ils sont en effet plus de 500 bacheliers à ne pas avoir été inscrits à l’université, faute de place.
Organiser un Forum dans de telles conditions, tenir 1 000 activités pendant 3 jours dans des locaux qui accueillent d’ores et déjà 75 000 étudiants était un défi impossible.
Les salles prévues pour les activités auto-gérées étaient souvent occupées par les étudiants. Les altermondialistes ont erré, perdu-es dans l’immensité du campus, les pieds ensablés et passablement échauffés. Dans cette confusion joyeuse et épuisante naissent parfois des rencontres fortuites toujours inespérées. Un débat sur la Tunisie où chacun-e veut raconter sa révolution, sa joie et aussi ses attentes : « c’est un processus révolutionnaire qui est en cours , il n’est pas terminé, il nous faut chasser aussi le FMI, et sa politique, en finir avec les Partenariats économiques avec l’UE ». La dissolution du parti de Ben Ali est salué par des cris de victoire.

Réussite…

Analyser, sans complaisance, ce que devient le FSM, ce qu’il représente aujourd’hui et son utilité face à la crise globale que nous affrontons n’est pas chose facile.
Le FSM reste sans aucun doute le seul espace permettant de rassembler les mouvements sociaux dans leur diversité. De nombreux réseaux, mouvements (solidarité-migrants, Palestine, droits des femmes, annulation de la dette, éducation…), arrivent au FSM afin de partager, d’élargir leurs campagnes (contre l’accaparement des terres, pour la «flottille pour Gaza »). Les éléments de réussite de ce forum tiennent aux multiples activités comme l’assemblée des « No-vox » (petits paysans, habitants des quartiers populaires, femmes du monde rural) qui s’est tenue dans la banlieue de Dakar, rejointe par les caravanes de « sans » parties de Rabat, de Bamako ou de Ouagadougou. Une démarche par ailleurs peu soutenue par le Conseil International du FSM.
Autre point positif : les assemblées de convergence pour l’action, qui pour la plupart ont permis de dégager des «feuilles de route» avec le souci d’articuler les luttes locales entre elles et avec les luttes globales et de se donner des plans de travail internationaux. D’ores et déjà, outre les rencontres thématiques (migrations, évasion fiscale…), des appels à mobilisation ont été décidés : mobilisation internationale au moment du G8 et du G20 en France, préparation du sommet de Durban sur le changement climatique, contre-sommet sur l’eau à Marseille en mars 2012, préparation d’un sommet alternatif à Rio en 2012 (Rio+20).

Ou occasion ratée ?

Mais cela ne saurait occulter les limites du Forum, limites héritées à la fois des préoccupations rencontrées lors du FSM de Nairobi quatre ans plus tôt – passer à l’action –, et du manque de mise en œuvre des engagements comme ceux du FSM de Belem en Janvier 2009 : le consensus général qui s’était dégagé sur des journées d’action pour répondre à la crise de 2008 ne s’est pas traduit par de véritables mobilisations et les discussions qui ont émergé fortement dans ce forum (sur les alternatives au système et sur les stratégies) n’ont eu aucune continuité.
L’enthousiasme qui a déferlé sur l’Assem­blée­ des Mouvements Sociaux, catalysée par les révolutions tunisienne et égyptienne a contrasté avec l’expérience langoureuse de Belem en 2009. Cependant, au-delà de cette euphorie, l’édition de l’AMS de Dakar interroge ! L’AMS continue de rédiger, un peu par routine, des déclarations de plus en plus radicales mais avec de moins en moins d’effet.
Des questions pourtant essentielles semblent occultées : comment avancer vers une réelle coordination des mouvements, comment renforcer les initiatives concrètes de solidarité avec les luttes en cours contre le patronat et les offensives des gouvernements ou en faveur de processus tels que ceux déclenchés dans les pays arabes ?

Ce qui reste du FSM à Dakar

La crise globale met au défi le mouvement altermondialiste de définir un scénario qui ne marche plus au rythme parcimonieux des années précédentes. Non seulement nous sommes confrontés à des politiques néolibérales nuisibles à l’humanité et la planète, mais à une guerre sociale qui se développe à un rythme rapide.
Cela nous impose de renforcer la solidarité avec les mouvements de résistance (que ce soit contre la réforme des retraites en France, les manifestations en Grèce ou le soulèvement populaire dans les pays arabes, ou contre les sociétés transnationales qui ferment les entreprises, menacent la stabilité des conditions de travail ou accaparent des terres, sources de vie). Les rapports de forces doivent se construire pas à pas. Le capital l’a bien compris mais les mouvements semblent très en retard ! ++++ [( [*Charte Mondiale des Migrants Proclamée à Gorée
Sénégal, le 4 Février 2011 (Extraits)*] … Nous, personnes migrantes qui avons quitté notre région ou pays, sous la contrainte ou de notre plein gré et vivons de façon permanente ou temporaire dans une autre partie du monde, réunies les 3 et 4 février 2011 sur l’Ile de Gorée au Sénégal, [**Nous proclamons*], Parce que nous appartenons à la Terre, toute personne a le droit de pouvoir choisir son lieu de résidence, de rester là où elle vit ou de circuler et de s’installer librement sans contraintes dans n’importe quelle partie de cette Terre.
Toute personne, sans exclusion, a le droit de se déplacer librement de la campagne vers la ville, de la ville vers la campagne, d’une province vers une autre. Toute personne a le droit de pouvoir quitter n’importe quel pays vers un autre et d’y revenir.
Toutes dispositions et mesures de restriction limitant la liberté de circulation et d’installation doivent être abrogées (lois relatives aux visas, laisser-passer, et autorisations, ainsi que toutes autres lois relatives à la liberté de circulation). _ Les personnes migrantes du monde entier doivent jouir des mêmes droits que les nationaux et citoyens des pays de résidence ou de transit et assumer les mêmes responsabilités dans tous les domaines essentiels de la vie économique, politique, culturelle, sociale et éducative. Ils doivent avoir le droit de voter et d’être éligible à tout organe législatif au niveau local, régional et national et d’assumer leurs responsabilités jusqu’à la fin du mandat…
Nous, personnes migrantes, nous engageons à respecter et promouvoir les valeurs et principes exprimés ci-dessus et à contribuer ainsi à la disparition de tout système d’exploitation ségrégationniste et à l’avènement d’un monde pluriel, responsable et solidaire. Pour voir l’intégralité de la charte : http://www.cmmigrants.org/goree/spip.php?article16)] [( [*Déclaration finale de l’assemblée des mouvements sociaux
Dakar, le 10 février 2011 (Extraits)*] … Ensemble, les peuples de tous les continents mènent des luttes pour s’opposer avec la plus grande énergie à la domination du capital, cachée derrière des promesses de progrès économique et d’apparente stabilité politique. La décolonisation des peuples opprimés reste pour nous, mouvements sociaux du monde entier, un grand défi à relever. Nous affirmons notre soutien et notre solidarité active aux peuples de Tunisie, d’Egypte et du monde arabe qui se lèvent aujourd’hui pour revendiquer une véritable démocratie et construire un pouvoir populaire. De part leurs luttes, ils montrent la voie d’un autre monde débarrassé de l’oppression et de l’exploitation.
Nous réaffirmons avec force notre soutien aux peuples ivoirien, d’Afrique et du monde dans leurs luttes pour une démocratie souveraine et participative. Nous défendons le droit à l’autodétermination de tous les peuples.
Au sein du processus FSM, l’Assemblée des mouvements sociaux est l’espace où nous nous réunissons avec notre diversité, pour construire nos agendas et luttes communes contre le capitalisme, le patriarcat, le racisme et toute forme de discrimination.
A Dakar, nous célébrons les 10 ans du premier Forum qui s’est tenu à Porto Alegre en 2001…
L’assemblée des mouvements sociaux appelle les forces et acteurs populaires de tous les pays à développer deux actions de mobilisation, coordonnées au niveau mondial, pour contribuer a l’émancipation et l’autodétermination des peuples et pour renforcer la lutte contre le capitalisme.
Nous inspirant des luttes des peuples de Tunisie et d’Egypte, nous appelons à ce que le 20 mars soit un jour international de solidarité avec le soulèvement du peuple arabe et africain, dont les conquêtes renforcent les luttes de tous les peuples : la résistance du peuple palestinien et saharaoui, les mobilisations européennes, asiatiques et africaines contre la dette et l’ajustement structurel, les processus de changement en cours en Amérique latine.
Nous appelons également à une journée d’action globale contre le capitalisme le 12 octobre, où, de toutes les manières possibles, nous exprimerons notre refus d’un système qui est en train de détruire tout sur son passage.
Mouvements sociaux du monde entier, avançons vers une unité globale pour défaire le système capitaliste ! [** Nous vaincrons ! *] Pour lire l’intégralité de la déclaration : http://www.forumsocialmundial.org.br/noticias_01.php?cd_news=3026&cd_language=3)]

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