Féminiser : une bonne direction pour la fédération

Alors que le taux de femmes syndiquées dépassent les 50% dans nombre de syndicats nationaux, c’est encore loin d’être le cas dans les instances de la FSU. Après des années de volontarisme non contraignant, la mise en place de mesures sur la parité s’impose. C’est l’objet de la proposition de modification statutaire déposée conjointement par les tendances Unité et Action et Ecole Emancipée dans le cadre du congrès de la FSU qui se tiendra en décembre.
Entretien croisé entre Laurence LELOUET du SNPES-PJJ et Milena SURBLED du SNETAP sur la parité dans leurs syndicats.

Pourquoi cette volonté dans vos deux syndicats d’instaurer la parité dans les instances ?
Milena SURBLED Il y a plusieurs années, à cause d’un événement interne au SNETAP, qui a choqué un certain nombre de militant·es, la question de la place des femmes et de la parité a fait l’objet de nombreuses discussions dans le Conseil syndical national (CSN). Un groupe femmes s’est alors constitué et a demandé à ce que plusieurs actions soient mises en place lors du congrès suivant, à Laval, en 2017. Le groupe femmes, devenu par la suite le groupe femmes-hommes, s’est réuni à deux reprises lors du Congrès, et a présenté une motion demandant à ce que des élections paritaires soient organisées. Cette proposition s’étendait à tous les niveaux du syndicat, afin d’éviter que les femmes ne soient confrontées à ce plafond de verre qui les empêchent d’avoir accès à des postes de « haut niveau » alors qu’elles ont, parfois plus que les hommes, des responsabilités au niveau local.
Les secrétaires généraux (que des hommes) n’ont pas, en premier lieu, retenu cette motion, qui a alors amené de nombreuses femmes et certains hommes à s’exprimer à la tribune. Il a finalement été décidé qu’une Commission femmes-hommes serait créée, et chargée de mettre en place un certain nombre de mesures, dont l’organisation d’une journée d’études sur la parité, en amont d’un Congrès extraordinaire visant à intégrer la parité dans les statuts. Cette Journée d’études permettrait ainsi d’alimenter et d’enrichir le débat avant le Congrès extraordinaire, étape nécessaire pour que la parité soit effective lors du Congrès suivant, en 2020.
Laurence LELOUET Alors que le SNPES-PJJ était déjà engagé sur la question du féminisme et notamment de la place des femmes au sein de l’institution, majoritairement masculine au moment de sa création, les années 90 ont vu arriver, au sein des instances de direction du syndicat, des femmes, militantes féministes. Dans la même période, c’est la création de la FSU, la limitation des mandats au sein du SNPES-PJJ et une première tentative d’inscrire dans les statuts la représentativité des femmes dans les instances directionnelles (elles sont plus représentées que les hommes à la PJJ). En 1992, une première femme est élue Secrétaire Générale du SNPES-PJJ et en 1994, les adhérent·es sont incité·es officiellement à élire des élu·es nationaux·ales en tenant compte de la « représentativité mixte ». En 1996, on constate qu’une mixité réelle existe au sein du Bureau National mais qu’au sein de la Direction (Commission Administrative Nationale), on compte 38,70 % de femmes et 61,30 % d’hommes.
Alors que les femmes représentent une part plus importante dans la profession et qu’elles sont autant syndiquées que les hommes, le fait de ne pas les retrouver à la tête des instances décisionnelles pose alors un vrai problème, en contradiction avec le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, pourtant revendiqué par notre organisation.
Après avoir eu recours à des mesures incitatives qui restent toujours d’actualité, comme la formation syndicale, la prise progressive de responsabilités, la préparation collectives des interventions, nous avons poursuivi collectivement notre réflexion sur la mixité. La parité a alors été appréciée comme un outil pour que chacun·e prenne conscience de la nécessité à inciter des femmes à prendre des responsabilités syndicales et à modifier nos pratiques. La parité a donc été inscrite dans nos statuts lors du congrès de Lille, en 2006.

D’autres outils sont-ils mis en place pour favoriser la place des femmes dans vos syndicats ?
M.S. Avant les événements cités précédemment, il y avait eu, plusieurs fois, un groupe « femmes » qui s’était constitué, mais qui n’avait pas réussi à insuffler une véritable dynamique. Lors du Congrès de Laval, les statuts précisaient seulement qu’il fallait « tendre le plus possible » vers la parité, mais sans que cela soit obligatoire.A la suite du Congrès de Laval, la Commission femmes-hommes a été chargée de rédiger plusieurs fiches pour faciliter l’engagement de toutes et tous, comme le remboursement de frais de garde d’enfants ou l’avancement des frais de déplacement, de proposer des modifications statutaires qui seraient présentées lors du Congrès extraordinaire, et d’organiser cette fameuse Journée d’études, qui a eu lieu le 27 mars 2019, la veille du Congrès extraordinaire. Le thème général était «La parité, enjeux et bénéfices pour un syndicat». Cette journée d’études a été une véritable réussite. Elle a rassemblé un nombre important de militant·es, et a permis d’engager des débats enrichissants avec les invitées présentes. Pour anecdote, un militant m’a même affirmé que c’était la première fois qu’il ne s’ennuyait pas à une journée d’études. La Commission aimerait que les actes de cette journée d’études, sur un sujet qui peut finalement intéresser un grand nombre de personnes, fassent l’objet d’une publication dans un livre, comme cela a été le cas pour d’autres journées d’études, grâce à l’Institut de recherche de la FSU. Par ailleurs, la Commission ne s’arrête pas là et a engagé de nombreuses autres pistes de travail au cours de la dernière réunion visant à faire encore avancer la parité au niveau du SNETAP, mais aussi de la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) et dans les lycées agricoles.
L.L. Avant même la création d’un secteur Femmes au sein de la FSU, le SNPES-PJJ avait mis en place une commission Femmes qui fonctionne toujours aujourd’hui. Nous y abordons différents thèmes de sociétés et produisons des brochures à destination des professionnel-les de la PJJ. Ces débats sont ensuite repris en CAN et peuvent déboucher sur des mandats. Il nous paraît très important de toujours porter la question des femmes et de l’égalité au sein de toutes les instances, qu’elles soient de dialogue social ou syndicales. Ainsi, dans la même idée, nous publions régulièrement des articles traitant de la question des femmes dans le bulletin syndical, nous consacrons un temps « Femmes » dans chaque formation ou nous animons des stages spécifiques sur différents thèmes ayant trait aux femmes dans les régions, auprès des syndiqué·es ou sympathisant·es.
Ces autres pratiques sont surtout incitatives mais viennent tout de même légitimer les femmes dans les places à responsabilité, en insistant sur la question de l’égalité…y compris syndicale.

Alors pourquoi la nécessité de modifications statutaires ?
M.S. Les modifications statutaires sont nécessaires pour que des élections paritaires soient effectivement mises en place au sein du syndicat. Lors du Congrès extraordinaire, les militant·es présent-es ont voté un certain nombre de modifications statutaires permettant d’instaurer une forme de parité à tous les niveaux décisionnaires du syndicat, sauf au niveau local et régional. Les adhérent·es ont ensuite validé ces modifications par un vote.
L.L. AU SNPES-JJ, la Commission administrative nationale qui constitue la direction du syndicat est composée des Secrétaires régionaux·ales et d’élu·es nationaux dont est issu le Secrétariat national. Les élu·es nationaux, au nombre maximum de 19 font acte de candidature individuelle et sont élu·es sur deux tours. Au premier tour, sont élu·es 14 membres ayant recueilli 50 % des voix à parité stricte, c’est à dire qu’il doit y avoir 7 femmes et 7 hommes même si le ou la 14e a obtenu moins de voix que le ou la précédent·e. Le deuxième tour n’est pas concerné par cette obligation de parité, ni la composition des secrétaires régionaux·les (dans nos statuts, deux SR et deux SR adjoint·es par région). Grâce à ce mécanisme, on constate depuis deux mandats (soit 4 ans) que le SN est paritaire à 100 %. La mise en place de la parité dans nos statuts a aussi eu des effets dans ce que j’appellerais la prise d’habitude, c’est à dire l’incitation envers les femmes à se présenter à la CAN pour répondre à nos obligations statutaires, les dégageant ainsi d’une certaine appréhension à « ne pas savoir faire » ou à ne pas se sentir légitimes, appréhension souvent bien moins présente chez les hommes du fait de la construction éducative et sociale. L’expérience des premières femmes ont permis aux suivantes d’oser y aller.

Propos recueillis par Amandine CORMIER