Collège Gisèle Halimi : bousculade et enthousiasme !

Depuis 2010, un collectif de professionnel de l’EN a réfléchi à un
projet particulier pour l’ouverture du 6ème collège public de secteur
à Aubervilliers (93). Ce projet s’est petit à petit concentré autour
de deux grandes idées : élaborer un collège à la fois coopératif et
polytechnique.

➠➠ Coopératif, en ce sens que les élèves comme les adultes du collège
sont amenés au sein de conseils hebdomadaires d’enfants et/ou
d’adultes à participer à l’élaboration des décisions collectives et à
leur mise en œuvre. Coopératif aussi, dans l’idée de favoriser le
co-enseignement entre adultes de différentes disciplines et de
différents métiers et de favoriser la mise en œuvre de projets et
d’activités proposées par les élèves eux-mêmes.

➠➠ Polytechnique, c’est le projet de mettre en œuvre les programmes de
l’éducation Nationale en s’appropriant d’autres outils que cahiers,
manuels et stylo : cours de 1h30 permettant des activités variées,
ainsi qu’ateliers cuisine, ateliers réparation de vélo, ateliers
bidouille informatique…

En 2016, le dialogue avec le Rectorat et la DSDEN aboutit à la
signature d’un contrat avec la CARDIE (Cellule Académique de Recherche
et Développement de l’Innovation). Le Collectif 2cpa travaille
désormais à une utopie devenue concrète, avec l’EN et avec le CD.

Rentrée 2018 : des retards

Dès la rentrée, nous faisons face à une triple problématique : ouvrir
un nouveau collège et mettre en œuvre l’expérimentation, dans un
bâtiment temporaire. Les préfabriqués eux-mêmes ne sont pas prêts pour
la pré-rentrée. À ce jour, on nous annonce la livraison du bâtiment
définitif au printemps 2019.

Le mobilier et le matériel pas vraiment commandés ne correspondent pas
aux listes établies en novembre 2017 ou en juillet 2018 par le
Collectif. Nous faisons la rentrée dans les cartons, qui nous servent
à fabriquer des étagères, mais sans manuels. La cour est petite, le
préau minuscule, certaines salles prennent encore l’eau en
janvier. Pas de gymnase, pas de couloirs, pas de hall, pas d’espace
d’affichage. Le CDI, meublé en novembre, est délocalisé. Il n’y a pas
de cantine dans le collège temporaire : les élèves déjeunent chaque
midi dans l’école primaire voisine et nous nous contentons du
micro-ondes en « Salle des adultes ».

Côté recrutement, tous les ATTE sont nommé-es sauf un-e. Ils/elles
sont volontaires et enthousiasmé-es par rapport au projet, mais
l’organisation de leur service, entre le site du collège et l’école
primaire pour la cantine, complique les choses.

Les AED sont recruté-es dans les premières semaines de septembre. Les
profs aussi : sur les 18 postes prévus par la DHG, seuls 14 ont été
créés et mis au mouvement ; sur 22 enseignant-es, 5 ne sont pas
nommé-es à la rentrée. Des contractuel-les arrivent petit à petit sur
les postes non pourvus et les bmp jusqu’à fin septembre. Sur la
quarantaine de personnels, tous corps confondus, une dizaine est issue
du Collectif (ATTE, aide à la direction et enseignant-es).

Les conditions de travail des adultes et des élèves depuis septembre
ne facilitent pas l’ouverture du nouvel établissement, ni la mise en
œuvre du projet d’établissement.

Malgré tout, un enthousiasme créatif réel

Et pourtant dès le début, l’équipe semble majoritairement intéressée
par le projet élaboré par le Collectif 2cpa.

Notre petite équipe confronte ses idées et ses points de vue chaque
semaine dans un conseil d’adultes dont les institutions prennent
forme : il permet parfois au malaise professionnel de surgir mais
aussi de dépasser collectivement les embûches et de construire la
suite.

La cohésion de l’équipe face aux difficultés matérielles et
pédagogiques rencontrées est assez inédite avec la volonté de gommer
les frontières entre les différents métiers.

Le déroulement type d’une semaine

Tous les élèves entrent et sortent à la même heure. Cette régularité
semble avoir des effets positifs (à confirmer) sur l’absentéisme. Les
élèves arrivent au collège chaque matin entre 8h et 8h15 et sont
invité-es à participer à des ateliers de 35 minutes avant de commencer
leurs premiers cours. Inspiré de Clisthène, il s’agit d’un sas entre
le dedans et le dehors qui permet de lancer la journée de travail avec
des activités sans enjeux scolaires.

Les élèves ont ensuite deux cours d’1h30 séparés d’une récréation. Les
temps de cours rallongés permettent de supprimer les intercours,
moment de tension pour tout. tes, particulièrement difficiles à gérer
pour la vie scolaire. Ils permettent aussi que les élèves aient le
temps de s’installer dans les activités et les apprentissages.

Nous disposons d’une pause méridienne de 2h qui est encore l’occasion
de proposer d’autres ateliers compris dans nos services. Les cours
supplémentaires (latin, arabe en 6ème, français renforcé pour les
ex-allophones) ont lieu au même moment.

L’après-midi, les élèves n’ont qu’un seul cours d’1h30, de 14h15 à
15h45. à l’issue de la récréation, ils et elles se rendent en groupe
de Travail Individualisé d’environ 18 élèves de différentes classes de
6ème et 5ème (dans les années à venir, avec l’ouverture des niveaux de
4ème et de 3ème , ce seront des élèves des quatre niveaux d’une même
« maison »). Ce temps de TI, encadré par des personnels de statut
divers, permet aux élèves de faire leurs devoirs ensemble ainsi que de
mener des projets personnels ou de rattraper leurs cours. S’y
développe une culture de la coopération. Le TI s’achève par un temps
de nettoyage et rangement de la salle : toutes les salles sont
équipées de balais et lavettes. La responsabilité de l’état de
l’établissement s’efforce d’être collective. Les élèves finissent leur
journée à 17h05.

Au quotidien, nous tentons de permettre à chacun-e de trouver sa
place, adulte comme élève, au travers des cours, des ateliers, du
temps d’accueil, des temps de travail individualisé trois fois par
semaine, mais aussi d’un conseil d’élève chaque vendredi. Celui-ci
permet aux élèves de conclure leur semaine en échangeant sur la vie en
classe et au collège et de faire leur propositions pour en améliorer
le fonctionnement collectif.

Les quelques 250 élèves du collège Gisèle Halimi vivent avec nous nos
tâtonnements pour survivre au mieux face aux difficultés que pose ce
collège en préfabriqués. Ils profitent aussi d’une équipe débordant
d’énergie, de réflexion et d’envies. Avant les vacances d’automne,
nous leur avons proposé un voyage coopératif sur l’île d’Arz avec
l’école de voile des Glénans : plus de 220 élèves ont pu participer à
l’un des trois séjours couplés avec trois semaines interdisciplinaires
à Aubervilliers. L’occasion pour l’ensemble de l’équipe de mettre en
place des projets aussi divers que variés pour découvrir d’autres
manières d’apprendre et de construire leurs les savoirs :
« L’Auber-plogging artistique », « Fabrique ton carnet de voyage »,
« Cartes et navigation astronomique : géo-positionnement moderne et
historique », « Création de bandes dessinées », « Biodiversité à
Aubervilliers » etc.

Les séjours ont également permis de donner corps aux trois « maisons »
qui devraient par la suite servir d’intermédiaire entre le conseil
d’élèves par classe et l’assemblée de collège.

Et maintenant…

Nous sommes le seul établissement de France à avoir obtenu d’être
classé REP + dès la rentrée, en dehors de toute renégociation de la
carte de l’éducation prioritaire, mais cela n’est pas suffisant. En
effet, ce classement ne permet pas de répondre aux besoins d’un
collège de secteur d’une des villes dont les habitant-es sont les plus
pauvres de France. Ce classement se résume essentiellement à une
prime, dont sont d’ailleurs privé-es les AED, et à une pondération
pour les enseignant-es, dont l’effet est réduit à néant par le quota
d’heures supplémentaires imposées à l’EPLE. Nous avons besoin de
personnels en plus, pour créer des groupes de travail individualisé de
taille suffisamment réduite, pour développer la co-intervention et les
ateliers, pour la Vie Scolaire, pour la co-formation. Nous avons
besoin de temps banalisés réguliers pour le bon fonctionnement du
collège (élaboration du règlement intérieur et des modalités
d’évaluation, partage de pratiques pédagogiques et éducatives).

Nous tentons d’innover au quotidien mais les moyens du bord ne sont
pas suffisants, le gouvernement prône l’autonomie des établissements,
dans une acception très limitée. Or, l’autonomie doit avant tout être
celle qui nous permet de penser nos métiers ensemble au quotidien et
celle que nous ferons acquérir à nos élèves.

Ce qui s’élabore au collège Gisèle Halimi ouvre des pistes pour un
fonctionnement coopératif entre tous les personnels, direction
comprise, et non une collaboration. Pourrons-nous un jour obtenir une
direction issue de l’équipe et revenant à l’équipe, comme l’avait
prévu le projet initial ?

Pour l’instant, nous avons à construire la routine qui permettra aux
élèves de construire leur univers de travail : confortable, collectif
et créatif.

Même si tout nous paraît urgent, nous devons être assez patient-es
pour laisser nos institutions (conseil d’adultes, conseil d’élèves,
TI, temps d’accueil, médiation, cercle restauratif…) se créer et
vivre, pour laisser à chacun-e la place d’inventer et de déployer ses
manières de travailler entre élèves et adultes.

À nous d’être à l’écoute, de réfléchir face aux différences de statuts
et de salaires au sein du collège, pour trouver des solutions afin que
le travail de chacun-e s’épanouisse et que le Collectif à l’origine du
projet se fonde au sein de la communauté éducative du collège Gisèle
Halimi. ●

Isabelle Darras, Séverine Labarre et Nicolas Beaujouan