À propos des « Territoires vivants de la République » (Éd. la Découverte)

« L’école est le lieu de la renégociation perpétuelle du contrat
social » (1) enseignant-es sont à ce titre des militant-es, elles et
ils sont aussi réalistes : pas de vision angélique, pour faire part de
leurs difficultés, de leurs erreurs, et aussi de leurs échecs. Camille
(interview cicontre) relate un projet ambitieux, sans taire pour
autant que pour certain-es, cela n’a pas fonctionné, et que, partant
de là, cette mise à l’écart a même ajouté à leur
disqualification. (page 271)

« Ils sont, ici comme ailleurs, des enfants, des adolescents »

Cette phrase (issue de l’introduction rédigée par les auteur-es)
résume à elle seule deux axes essentiels du travail mené : un travail
d’éducation pour contribuer à la formation des individus, et un
travail exigeant en direction des jeunes, car, « ici comme ailleurs »,
l’école se doit de permettre le même accès aux savoirs. Sans
démagogie, tous les récits témoignent de cette ambition pour ces
jeunes de banlieue: quand un-e enseignant-e reconnaît qu’il doit
lutter contre ses propres représentations pour empêcher les
discriminations et les préjugés de s’insinuer dans ses pratiques
d’enseignement, bien malgré lui-elle, c’est à tou-tes les
lecteurs-trices que ce discours fait écho… Cette question en
entraîne une autre, celle de la finalité de l’école: loin des logiques
d’employabilité ou de compétition imposées par l’école actuelle, une
école sélective au service du libéralisme, au fil de la lecture se
dessine nettement le projet d’une école émancipatrice, qui permet à
chacun-e de trouver sa place dans la société, de la trouver au sein
même de la classe, et de pouvoir agir sur le monde.À cette fin,les
enseignant-es ne font l’impasse sur aucun sujet auquel ils ont à se «
frotter ». Les questions vives ne sont pas éludées: la religion comme
la laïcité, l’histoire et la commémoration,

Depuis plus de 20 ans, les banlieues populaires – leur jeunesse, leur
violence – alimentent les fantasmes et participent d’une « fracture »
sociale et culturelle ancrée; ces territoires, souvent les plus
pauvres, concentrent certes de nombreuses difficultés, mais ils sont
aussi et surtout stigmatisés par un discours qui les
disqualifie. Ainsi, en 2002, paraissait Les territoires perdus de la
République, au titre évocateur. Le livre Les territoires
vivants… est bien plus qu’une réponse:c’estunautrediscours,unregard
différent, volontariste et progressiste. Le regard se pose sur la
jeunesse, mais aussi sur l’acte d’enseigner des personnels résolument
engagé-es dans cette mission. Le discours réhabilite l’école des
banlieues et, à travers elle, l’école dans son ensemble.

Benoît Falaize coordonne cet ouvrage qu’il définit ainsi: « c’est un
livre pensé et élaboré collectivement (…) qui souhaite offrir un
regard équilibré sur les banlieues, sur la jeunesse française et sur
le travail des enseignants » et il ajoute que, oui, « l’école fait son
travail ».

En cela,, il s’agit d’un hommage aux enseignants et à leur
engagement. Le livre se présente comme un ouvrage de sociologie, il
fait se succéder des récits d’expériences pédagogiques, réunies autour
d’un même thème, et ponctués, en fin de chapitre, par un texte en «
contrepoint » signé par un-e théoricien-ne qui permet de prendre
distance et hauteur. Cette architecture en fait un récit agréable à
lire, très varié. Si les expériences relatées sont différentes, elles
ont des points communs : elles témoignent
toutesdel’engagementdesenseignant-es auprès de la jeunesse. Engagé-es
à donner accès à l’autre côté des banlieues, à la complexité du monde
; engagé-es à faire céder les barrières sociales, culturelles;
engagé-es à surmonter les préjugés et les déterminismes. Si tou-tes
ces

le sexisme ou l’orientation sexuelle, tous ces sujets s’invitent dans
la classe. Ce sont aussi ces débats qui font que l’école est un espace
politique où se révèlent, et se combattent, les pouvoirs et les
dominations. Dans tous ces récits, la place de l’échange et de la
confrontation est absolument centrale, les élèves ont la parole et
sont écouté-es, c’est un des leviers de leur émancipation. (2)
L’exhaustivité étant impossible,certaines zones restent dans l’ombre à
l’issue de la lecture : quel est le sort des élèves qui pourraient se
reconnaître dans ces récits mais qui ne sont pas scolarisés dans ces
territoires? Quelle est l’attention qui leur est portée, où s’arrête
l’école de la « République » ? Un autre aspect relève aussi d’un angle
mort, c’est celui du poids de l’institution: injonctions, surplomb,
autorités de contrôle… de quoi y perdre, de façon légitime, le
souffle nécessaire à la réalisation de projets parfois. Il n’en reste
pas moins que Territoires vivants est un livre en l’honneur des
enseignant-es, grâce auxquel-les s’impose la confiance en l’école et
en l’avenir de la jeunesse.

Véronique Ponvert

1) Page 275, Camille Taillefer
(voir entretien ci-contre).

2) Page 291. Contrepoint, Fabien Truong, sociologue,
page 291. « Garantir le droit à l’expression
de l’outrance. Car ce que d’aucuns tendent à considérer
comme une ligne rouge n’est au fond
que la ligne de départ. La seule existante pour qui
considère un jeune comme un véritable interlocuteur ».