Effondrement : déjà trop tard ?

Depuis plusieurs mois apparaît une nouvelle doctrine auto-désignée
sous le terme de collapsologie qui se présente comme l’étude de
l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait
lui succéder. Elle a pris son essor depuis la publication en 2015 du
livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut
s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations
présentes.

Se présentant comme une discipline balbutiante, elle vise à croiser
différents savoirs scientifiques pour démontrer l’imminence d’un
effondrement de nos sociétés et présenter les manières d’y faire
face(1). Le choix du terme effondrement (collapse) pour désigner le
proche avenir des sociétés humaines a la vertu de tirer très fort le
signal d’alarme, confirmant ce que de nombreux-euses chercheur-es et
militant-es disent depuis bien longtemps. En cela, si cette alerte est
toujours la bienvenue, elle apporte peu à ce qu’on sait déjà
concernant le réchauffement climatique, l’emballement des phénomènes
en cours, la destruction des espèces ou l’ampleur inégalée des
pollutions. Elle confirme également l’idée, qui n’est pas non plus
nouvelle, qu’on n’a pas à faire à une simple « crise environnementale
», mais à un phénomène global, systémique, qui va s’accélérant, et qui
est en partie, en partie seulement, irrémédiable.

Le réel débat commence sur l’explicitation des causes et des
alternatives à la catastrophe. Or, cette explicitation posait déjà
problème chez le père tutélaire de la collapsologie, Jared Diamond,
dont le livre Effondrement qui connut un grand succès (Nicolas
Sarkozy, Edouard Philippe et Nicolas Hulot en firent leur livre de
chevet…) utilise la métaphore de l’île de Pâques, selon laquelle la
multiplication des habitant-es de cette île aurait provoqué la
destruction de leur écosystème. On retrouve cet accent mis sur la
cause démographique pour expliquer les catastrophes environnementales
chez les collapsologues contemporains qui marquent leur intérêt pour
les théories de Malthus. Si la question démographique ne peut être
écartée, elle permet bien souvent de faire l’impasse sur d’autres
cadres d’analyse. Or, pour Pablo Servigne, « concernant les causes [de
l’effondrement], chacun a sa théorie et ça se chamaille tout de
suite. C’est pareil pour les solutions à envisager. »(2) Mieux vaut en
effet alors ne pas se chamailler, ce qui permet d’être « cité par des
prêtres catholiques, par des militaires, [d’être] invité à l’Elysée et
aussi par le MEDEF belge et suisse, par la ferme du Goutailloux de
Tarnac, etc. Personnellement, je trouve ça chouette d’aller rencontrer
tous ces gens pour aller capter l’air du temps. »(3).

Ce qui étonne à la lecture des nombreux entretiens donnés par Pablo
Servigne, c’est, outre son refus d’analyser les fondements de
l’effondrement, l’écart entre la description du présent et la
faiblesse des pistes pour y faire face. Non pas que l’exercice soit
aisé mais, néanmoins, certain-es auteur-es qui pensent en termes
d’effondrement envisagent comment repenser les luttes de classes au
XXIe siècle à partir de cette situation inédite dans l’histoire de
l’humanité (4) ou appellent à une insurrection des sociétés
civiles(5).

Malgré l’ampleur des critiques qu’on peut adresser à certains «
collapsologues », on ne peut cependant que prendre au sérieux leur
signal d’alarme. Reste à faire vivre des alternatives qui luttent
contre les causes des catastrophes en même temps qu’elles nous
préparent à y faire face.

Vincent Gay

1) Voir en particulier le site http://www.collapsologie.fr/

2) « Effondrement ou autre futur ? Entretien avec Pablo Servigne »,
Contretemps, 6 mars 2018.

3) Idem.

4) Renaud Duterme, De quoi l’effondrement est-il le nom ?,
Editions Utopia, 2016

5) Christophe Bonneuil, « Climat et effondrement : « Seule une
insurrection des sociétés civiles peut nous permettre
d’éviter le pire », Bastamag, 16 octobre 2018