Les débats dans la FSU

Le ministère veut aller vite. Les annonces et les rapports s’enchaînent et les projets de réformes obligent la FSU et ses syndicats nationaux à prendre position rapidement. Or, sur la question de la formation et du recrutement des enseignant-es et des CPE, l’élaboration d’une position de synthèse fédérale n’est pas évidente…

Déjà, le congrès de Rodez du SNUipp de juin 2016 avait rebattu les cartes au sein de la FSU. L’architecture de la formation y a toujours fait débat, néanmoins, un consensus se dégage : les conditions de formation sont dégradées, le métier d’enseignant-e ne se démocratise pas et la crise de recrutement s’installe. Face à ce constat, le SNUipp s’est doté d’un mandat de recrutement en fin de L3 suivi d’une formation, sous statut de fonctionnaire stagiaire, de deux ans reconnues par un master.

Cette position n’était pas gagnée d’avance car les réticences étaient nombreuses au sein d’UA. Mais ce qui a fait basculer le congrès, c’est le constat largement partagé qu’un concours placé au milieu du master scinde la formation en deux et ne permet pas aux futur-es enseignant-es de construire leur professionnalité. Chaque section départementale pouvant témoigner de la souffrance créée par ces conditions de formation chez les étudiant-es, les stagiaires et les formateur-trices.

Face à cela, un concours positionné en fin de L3, outre le fait de garantir une plus grande démocratisation et de répondre à la problématique du vivier, permet de garantir une véritable formation professionnelle : les stagiaires débarrassé-es du poids du concours changent de posture et deviennent des enseignant-es. Ce temps plus long, articulant formation universitaire adossée à la recherche et stages progressifs conçus dans une logique de formation et non d’emploi, leur permet d’intégrer les différentes dimensions d’un métier de conception.

Ce mandat a été largement adopté avec près de 70 % des voix. D’autre part, en revendiquant des pré-recrutements dès la L1 intégrant des critères sociaux, le congrès du SNUipp a reconnu la nécessité de démocratiser l’accès au métier d’enseignant-e où la proportion d’enfants d’ouvrier-es baisse de 5 points entre la licence et le master quand celle des enfants de cadres supérieur-es et de profession libérale augmente de près de 6 points. Les étudiant-es issu-es des classes populaires sont en effet souvent obligé-es de travailler afin de financer leurs études, ce qui nuit à leur réussite universitaire. Des pré-recrutements précoces, sans contrepartie de travail, et garantissant une rémunération suffisante pour suivre les études et préparer le concours, permettent de les protéger du salariat étudiant.

Un premier pas a donc été franchi sur la nécessité de favoriser les étudiant-es issu-es des milieux populaires. Les modalités de ces pré-recrutements et les conditions d’accès au concours des pré-recruté-es doivent désormais être définies ; ce sera un des enjeux du prochain congrès du SNUipp de juin 2019.

Des contradictions de plus en plus vives au sein des autres syndicats nationaux

C’est peu dire que ce nouveau mandat du SNUipp n’a pas été vu d’un bon œil par les militant-es UA qui défendent le recrutement après le master. L’espoir de ces militant-es, nombreux-ses surtout au sein du SNES et du SNEP, de fixer la position de synthèse fédérale sur celle d’un recrutement tardif, s’éteint définitivement. Un mandatement fédéral aurait pourtant permis d’asseoir une légitimité à cette position qu’il faut être capable de justifier après la mise en place de la mastérisation. L’argument principal opposé consiste à dire qu’un recrutement après le master serait un point d’appui pour revendiquer une revalorisation salariale. L’expérience montre, cela dit, qu’il n’y a pas d’automaticité entre niveau de recrutement et niveau de rémunération. Ainsi, avec la réforme Peillon et l’instauration d’un recrutement au niveau du M1, le ministère a refait débuter la carrière au 1 er échelon, comme c’était le cas avant la réforme Darcos, alors que le recrutement s’effectuait alors au niveau licence. Autre exemple de l’absence de corrélation directe entre niveau de recrutement et de rémunération, avec l’entrée à l’ENA qui a lieu après trois années d’études, mais dont le niveau de rémunération qui en découle est bien supérieur à celui d’un-e maître de conférence, recruté-e à Bac+8. La position d’UA SNES et SNEP est d’autant plus difficile à tenir qu’on voit mal comment elle pourrait apporter une réponse à la grave crise de recrutement que connaît la profession.

Recrutement après le master : une position aux pieds d’argile

Cette position s’est ainsi vue fragilisée au moment même où le ministère avançait ses billes. Pour critiquer le projet de JeanMichel Blanquer de déplacement des épreuves d’admissibilité, les militant-es UA du SNEP écrivaient dans la revue UA de décembre 2017 que ce projet délétère du ministère revenait à ramener le niveau de recrutement à celui de la licence, et donc à dégrader le niveau de formation des futur-es enseignant-es. Un coup de pied de l’âne à la position de l’École Émancipée qu’ils plaçaient du coup dans le même bateau que le projet du ministère. Sauf que le projet Blanquer, avec des épreuves d’admission en M2, revient à un recrutement en fin de master et non à la licence.

Dans ces conditions, l’élaboration d’une synthèse fédérale est contrariée par la volonté de militant-es des syndicats nationaux de jouer avec leurs seules cartes, n’hésitant plus à envisager un possible décrochage du niveau de recrutement entre le 1 er et le 2 nd degré, ce qui va pourtant à l’encontre des mandats de la FSU. Ce décrochage serait un argument de plus dont pourrait se saisir le ministère pour différencier les carrières et affaiblir le statut. Le danger existe, un rapport sénatorial paru fin juillet 2018 porte d’ailleurs cette proposition, entre autres menaces pour la Fonction publique.

La nécessité d’une position fédérale forte

La FSU a malgré tout su réagir rapidement en publiant un communiqué de presse lorsque Jean-Michel Blanquer a lancé les premières annonces au sujet de la réforme de la formation des enseignant-es et des CPE en juin 2018. Notre fédération aura besoin de cette unité et ne devra pas laisser les intérêts des différents syndicats nationaux primer sur ce qu’elle porte pour tous. L’exclusion du SNESUP de la dernière audience au ministère au sujet des soi-disant « pré-recrutements » à la sauce Blanquer n’est pas un bon signe de ce point de vue et nous aurons besoin de nous serrer les coudes pour faire face aux attaques. D’autant que c’est tout à fait possible puisque, par exemple, sur la question de la transformation du statut des AED pour les faire passer pour des « pré-recrutements », tous les syndicats nationaux sont d’accord pour dire que les contrats précaires ne peuvent pas tenir lieu de pré-recrutements, qui excluent par nature tout travail salarié : quand on est pré-recruté-e, on l’est pour faire ses études. Les militant-es de l’École Émancipée investi-es dans les différents syndicats nationaux et au sein de la FSU s’attellent à faire en sorte que celle-ci porte des mandats de synthèse, fédérateurs et combatifs, tout en poursuivant le travail de conviction sur l’urgence de défendre des mesures à même de démocratiser l’accès au métier et d’améliorer la formation.

ROMAIN GENTNER, LAURENCE PONTZEELE, VALÉRIE SOUMAILLE