Claude Gautheron : le débat confisqué autour de l’école maternelle

Le samedi 6 janvier dans Ouest France on a appris le projet ministériel de mettre en place des « assises de la maternelle » en mars prochain et d’en confier l’organisation à Boris Cyrulnik, ce dernier faisant office de « spécialiste de la petite enfance ». Le but affiché par Blanquer est de faire de l’école maternelle, « l’école de la bienveillance et du langage ». Comme à son habitude, le ministre reprend des préoccupations qui sont les nôtres et celles des parents pour poursuivre des objectifs qui ne sont… pas du tout les nôtres ! Deux exemples : l’un sur les contenus d’enseignement, l’autre sur le statut des professionnels de la petite enfance.

Tout d’abord, il préconise dans cet article le « bain de langage » et fait de l’acquisition du vocabulaire l’objectif premier de la maternelle pour lutter contre les inégalités d’origine des élèves. Sans entrer dans les détails, le bain de langage a été préconisé dans les années 80 pour l’école maternelle et est maintenant l’apanage des crêches et des lieux d’accueil de la petite enfance. Depuis maintenant plus de 20 ans, Véronique Boiron et bien d’autres ont pointé les limites de cette approche à l’école et son manque d’ambition pour les élèves : si l’acquisition et le développement du langage oral se font « naturellement » dans la famille et la vie quotidienne, l’ambition de l’école est de construire un nouveau rapport au langage pour permettre aux enfants de comprendre et d’utiliser le langage pour apprendre, réfléchir, décrire, argumenter… parce que c’est bien à ce niveau que se situent les inégalités et c’est cette dimension-là du langage dont les maîtres et maîtresses sont les spécialistes.

Sur le statut des professionnels, les propos de Cyrulnik sont édifiants et ne vont pas sans rappeler ceux d’un certains Darcos sur les enseignant-es à bac +5 aux prises avec les couches-culottes. Je cite : « Le moment où les enfants accèdent à la parole est essentiel. Or, les adultes qui s’occupent des enfants ont souvent une bonne formation intellectuelle, mais pas toujours adaptée à l’enfance préverbale. L’expérience montre que les enfants ne s’attachent pas forcément à celui qui a le plus de diplômes, mais à celui qui établit les meilleures interactions avec lui. ». Je passe sur tous les lieux communs qui rendraient l’école maternelle formidable : le mobilier adapté, la lecture d’histoires, la musique…

J’ai pris un peu de temps pour situer l’intervention conjointe de Blanquer et Cyrulnik parce qu’elle est emblématique des méthodes Blanquer : caresser l’opinion dans le sens du poil en s’adressant directement à elle, lui servir des recettes pleines de bon sens et difficilement contestables, ignorer magistralement tous les cadres intermédiaires et professionnels concernés et surtout obérer complètement toute possibilité d’un débat contradictoire, même parlementaire. Quand dans le Jura, on découvre dans la presse locale une photo d’un rassemblement de parents d’élèves contestant le boulot d’une instit Freinet avec une banderole « retour aux fondamentaux » !!! on constate que la méthode Blanquer, ça marche ! Des enseignant-es exécutants sous contrôle, non pas seulement de leur administration mais de la population.

Pourtant, à quoi, devrions-nous nous attendre ? Certainement à des listes de mots que les élèves devront connaître, des évaluations pour s’assurer que les maîtres et maîtresses ont bien obéi mais aussi, des personnels moins qualifiés que les enseignant-es qui feront remonter les taux d’encadrement actuellement les moins bons d’Europe… sans avoir besoin de s’attaquer à la question cruciale des effectifs.

Le cadre est posé. Et nous que faisons-nous quand clairement on fait en sorte de ne donner la parole, ni à nous professionnels, ni aux parents d’élèves, ni aux élèves, ni à la société ? On se trouve confronté à un discours hégémonique d’un ministre qui s’entoure de « spécialistes » triés sur le volet pour légitimer la politique dont il rêve depuis les années 2000. Il faut maintenant que l’hégémonie change de camp et que nous initions le débat sociétal que mérite l’école. Il n’est pas posible qu’elle soit à nouveau soumise à un coup de balancier à droite alors que les mesures prises les cinq dernières années, dont certaines ont été largement approuvées (sur la maternelle en particulier), ne sont pas encore complètement appliquées.
Pour survivre et compter, le syndicalisme ne peut se contenter de réagir aux politiques publiques. Il doit prendre des initiatives fortes, créer l’événement, imposer son agenda, dans une démarche non pas prioritairement de confrontation à l’État mais de dialogue avec le milieu, professionnel ou social, contournant ainsi l’État. Nous devons réfléchir à la mise en place d’une grande initiative de type consultation par des Etats généraux pour l’école par exemple pour faire partager et rendre incontestable un projet émancipateur pour l’école. La période impose que toutes les forces concernées par la question scolaire travaille à une démarche unitaire