Alix Mazounie : « Un accord à la prochaine COP est indispensable, mais largement insuffisant »

Alix Mazounie, chargée des politiques internationales
au Réseau Action Climat, suit les négociations internationales depuis 2009.

◗ La prochaine Conférence des Parties sur le changement climatique se tiendra à Paris en décembre prochain. Selon le gouvernement français « elle doit aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C »(1). Quel serait le texte auquel la COP devrait aboutir pour enclencher la dynamique à même de répondre à ce défi ?

Ce texte devrait contenir un triple défi afin d’être cohérent avec les préconisations du GIEC.

Le premier est que l’accord mondial doit enclencher une transition écologique et énergétique mondiale. Tous les États doivent se mettre d’accord pour enterrer définitivement les énergies fossiles d’ici 2050. C’est important d’avoir cet objectif dans les textes, pour envoyer un message clair : « arrêtez d’investir dans les énergies fossiles ». Bien entendu, cela ne règle pas tous les problèmes, et notamment de savoir par quelles solutions les remplacer. Une partie de la société civile est pour cela très engagée autour du slogan « 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 » pour éviter les fausses solutions comme le nucléaire, le gaz ou les systèmes de capture de CO2. Or aujourd’hui, dans les textes, on a des objectifs de décarbonisation de l’économie, ce qui revient à dire qu’en 2050, il n’y aurait plus d’émission nette de GES(2). C’est une mauvaise solution, tout à fait compatible avec la poursuite des émissions, « compensées » par la séquestration du carbone dans les sols, au détriment de l’utilisation des terres pour assurer la sécurité alimentaire des populations.

Le deuxième enjeu est la solidarité financière et technologique avec les pays les plus pauvres. Financière, pour aider les pays à s’adapter aux impacts, déjà en cours, que ce soit en matière de sécheresses ou d’inondations, pour construire des digues, etc. Financier mais également technologique pour les aider à « sauter » la case carbone, et donc assurer le développement des énergies renouvelables. Et ce soutien financier doit être 100 % public : on ne peut pas donner cette responsabilité au secteur privé qui va toujours chercher la rentabilité.

Le troisième enjeu concerne la redevabilité, la transparence et la comparabilité des efforts. Tous les États vont être amenés à s’engager, d’une manière ou d’une autre. Il faut être en capacité d’assurer le suivi de ces engagements, ce qui nécessite qu’ils soient du même format. C’est à dire qu’ils prennent en compte, par exemple, la même date de départ pour mesurer les réductions de GES, qu’un accord se dégage sur les unités de mesure, et que l’on puisse demander des comptes. Il faudrait également des mécanismes juridiques qui obligent les États à revenir régulièrement à la table des négociations. Nous constatons qu’aujourd’hui les engagements des États sont extrêmes faibles, largement insuffisants pour permettre de stabiliser le réchauffement climatique en deçà de 2°C, on est plutôt, sur la base des contributions annoncées, sur une trajectoire de 4°C. On ne peut donc s’arrêter là, et il faut obliger les États à revoir leurs engagements très régulièrement, et à la hausse. On souhaite donc que soit inscrits des « cycles d’engagement » : tous les 4 ou 5 ans, les États se retrouveraient pour négocier de nouveaux objectifs avec un « effet cliquet » qui les obligerait à envisager toujours à la hausse les engagements précédents.

◗ Au vu des engagements annoncés par les États et des textes préparatoires présentés à Genève en février dernier et négociés tout au long de cette année, ces objectifs peuvent-ils être atteints en décembre à Paris ?

Clairement non. Sur le premier objectif, les engagements à court ou long terme sont loin du compte. Concernant la solidarité avec les pays les plus pauvres, un certain nombre d’engagements ont déjà été pris, qui sont loin d’être tenus, et lorsqu’ils sont « tenus », ils le sont par le biais de financements privés ou de mécanismes de triches comptables, où l’aide au développement est par exemple intégrée. Or, l’objectif doit être de trouver de nouveaux financements pour répondre au surcoût lié au changement climatique. Il est nécessaire que les pays développés s’engagent sur des financements publics uniquement, et que ceux-ci donnent la priorité à l’adaptation aux impacts du changement climatique. Enfin concernant la troisième partie, c’est peut-être là où les textes préparatoires sont plus positifs. L’idée d’avoir des cycles d’engagement de 5 ans ou 10 ans est présente. La période la plus courte étant, de notre point de vue, plus positive. Les désaccords pourraient porter, par contre, sur le statut des contributions nationales. Est-ce que cette partie-là sera juridiquement contraignante ou sera-t-elle portée en annexe, ce qui rendrait notre travail pour assurer la redevabilité et la transparence des engagements plus compliqué ? Malheureusement, la négociation semble s’orienter vers un système « par le bas », où chaque État ferait ce qu’il veut, sans système juridique contraignant.

◗ La COP qui se déroulera à Paris en décembre sera la 21e édition, et, à l’heure actuelle, le résultat ne semble pas pouvoir être satisfaisant. Le processus n’est-il pas lui même en échec ?

À mon avis, ce n’est pas le processus onusien qui est en cause, ce sont les 196 États qui n’avancent pas, et s’ils n’avancent pas, c’est par choix politique. Pendant 20 ans, les négociations ont échoué à affronter la question des énergies fossiles, qui sont pourtant la première cause des émissions de GES. Le sujet, cette, année est à l’ordre du jour, ce qui constitue un point d’appui positif, même s’il est encore trop peu évoqué dans les textes. La difficulté majeure réside dans l’incapacité des États à mettre en place, à leur niveau, les conditions pour un accord international ambitieux. Actuellement, ces politiques nationales ne sont pas à la hauteur. On constate par exemple que les subventions aux énergies fossiles continuent d’exploser, y compris pour rechercher de nouvelles sources. Et ce sont ces politiques qui sont la cause de l’incapacité des COP à atteindre un accord ambitieux.
Pour la société civile aujourd’hui, l’accord est indispensable mais largement insuffisant. Nous ne devons donc pas mettre toute notre énergie sur l’accord, mais davantage sur les politiques nationales : sur les projets de centrales à charbon, les lois de transition énergétique, contre Notre Dame des Landes, contre tous ces signaux qui montrent que les États n’ont toujours pas compris de quoi on parle. L’échec ou la réussite de la conférence ne réside donc pas vraiment dans le texte, mais dans la capacité des États à développer des politiques cohérentes. En France, est-ce que oui ou non le projet de NDDL sera abandonné, est-ce que le principe de la « transition juste » s’applique dans les politiques publiques, est-ce que la loi de transition énergétique permet le développement des énergies renouvelables ou est-ce que des verrous comme le nucléaire vont l’empêcher, est-ce que la France continue à subventionner le charbon dans les pays en développement ? Le rôle de la société civile va être, cette année de mobilisation, de mettre l’accent sur ces questions concrètes, et d’orienter le débat publique sur ces enjeux, pas uniquement sur le texte. En cela, la stratégie du mouvement est en train de se modifier, en étant moins focalisée sur la COP elle-même. Bien entendu, les COP permettent une mobilisation physique, convergente, et, nous l’espérons à chaque fois, d’ampleur. Mais notre objectif n’est pas tant de mobiliser sur les enjeux de la COP elle-même, que de montrer en quoi le changement climatique est lié à la réalité quotidienne. Le calendrier de mobilisation cette année cherche à se déconnecter de l’agenda officiel. Le fait d’appeler à de grandes marches le week-end avant la COP, le 29 novembre, dans les différents pays, à la différence des années précédentes où la mobilisation avait lieu au cours de la conférence, montre bien que notre objectif est de faire pression non sur la COP elle même mais sur les États. De même, appeler d’ors et déjà à des mobilisations en 2016 signifie qu’au delà du texte en lui même, la construction d’un mouvement pour la justice climatique ne se fera pas sur des enjeux de virgules, mais sur notre capacité à ancrer la mobilisation sur des questions concrètes, locales et qui font sens pour le quotidien des populations. ●

propos recueillis par
Julien Rivoire

1) http://www.cop21.gouv.fr/fr

2) GES : Gaz à effet de serre