Argentine, la mémoire s’écrit en bleu

Argentine : il y a 38 ans qu’a eu lieu le coup d’Etat militaire, 38 ans que débute cette période que la Dictature a baptisé « programme de reconstruction nationale ».

Ce programme là a organisé la disparition de 30 000 personnes, 15 000 hommes et femmes ont été fusillés.

À cette liste macabre, il faut ajouter le rapt d’au moins 500 nouveaux-nés volés à leurs parents, torturés et disparus, pour être « donnés » à des familles liées à la junte militaire.

Le gouvernement militaire a donné une définition très vaste de la « subversion ». Pour la junte, pour ses responsables, ses fonctionnaires, tout ce qui n’était pas conforme à leurs normes et à leurs objectifs était « vérolé » par le germe subversif.

À maintes reprises, les chefs des forces armées l’ont dit et expliqué : elle leur a permis de cibler et de persécuter une immense partie de la population, parquée et assignée dans les rangs de la subversion.

Face à cette entreprise de destruction, les dits « subversifs » ont mobilisé tous les moyens de lutte qu’ils connaissaient : presse clandestine, chansons de protestation, petits films, folklore, littérature, chaire d’université, religion…

La junte a riposté en affirmant, entre autres, que la démocratisation de l’éducation était l’une des causes de la révolte des étudiants, de leur « subversion ». Voilà pourquoi, sur les listes de disparus, figurent tant d’enseignants et d’étudiants, membres de syndicats ou pas. Ils en sont la majorité en fait…

**Le cri des « mères »

Dès la première année de la dictature, a commencé la longue marche de dénonciation et de lutte des mères de disparus. À leurs côtés se trouvaient des organisations défendant les droits humains, de leurs enfants, les grands mères de la place de Mai et bien d’autres collectifs, tous réclamant, d’une seule voix, le retour en vie des disparus et le châtiment des militaires coupables.

En 1985, le procès de la junte s’est ouvert, mais seulement quelques responsables ont été condamnés. Très vite, dès 1986, ont été adoptées en rafale la loi dite du « Point final », puis celle dite « de l’obéissance due » (qui protégeait les soldats et exécutants) et enfin les lois d’amnistie décrétées par le président Carlos Menem.

Cependant, plus récemment en 2003, sous la présidence de Nestor Kirchner, des procès ont pu être rouverts et quelque 60 personnes ont été condamnées.

Quant à la date du 24 mars (jour du golpe), elle a été retenue par le congrès argentin comme « Jour de mémoire, pour la Vérité et la Justice ». C’est une journée de commémoration en l’honneur des victimes de la « guerre sale ».

Elle a été déclarée fériée en 2006, toujours sous la présidence de Kirchner.
Aujourd’hui, on estime à plus de 400 le nombre des bourreaux condamnés.

Cependant, la route est encore longue, et difficile : les procès ne sont pas encore terminés et l’appareil de justice actuel demeure inchangé, portant en lui le lourd héritage de la dictature.

**Un Espace mémoriel

La récupération du site de l’ESMA (l’Ecole de mécanique de la Marine), utilisé par la Junte comme centre de torture, a été validée par l’Etat à partir de 2003. Ce sont les organisations argentines de lutte pour les droits humains, pour la mémoire, la vérité et la justice qui l’ont obtenue.

Aujourd’hui, l’Espace Mémoire et Droits humains y est installé. Il est dédié à l’hommage aux victimes et à la condamnation des crimes contre l’Humanité commis par le terrorisme d’État. Il se veut aussi un lieu de référence national et international, un exemple d’action publique en matière de mémoire et de promotion des valeurs démocratiques et sociales…

C’est donc un lieu d’échange culturel et de débat social, politique sur le terrorisme d’Etat et la répression massive, un espace de réflexion sur le passé récent. Cette réflexion se nourrit de toutes les formes d’intervention possibles : visites guidées, congrès, programmes pédagogiques, spectacles vivants, production éditoriale, audiovisuelle…

En 2014, quatre-vingt-dix écoles ont profité de cet espace ainsi qu’un nombre conséquent d’étudiants et d’étudiantes militant dans des organisations jeunesses ou démocratiques. ●

JORGE PALMUCCI