Regroupements version Fioraso : « je ne veux voir qu’une tête ! »

Fortement médiatisée en mai, une certaine agitation traverse le milieu universitaire.

En cause : les regroupements d’établissement imposés par la loi du 22 juillet 2013 (loi « Fioraso »), dont les statuts doivent être élaborés avant le 22 juillet 2014.

Depuis la loi d’orientation et de programme pour la recherche de 2006, la mode est au regroupement des structures de recherche et d’enseignement supérieur (ESR) : diverses dispositions juridiques ont été introduites dans le but affiché de favoriser les coopérations, en particulier celles de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES).

En réalité, il s’agit plutôt de pilotage de la recherche et de l’innovation au service des intérêts économiques à court terme, à l’aide de grosses structures à « gouvernance resserrée ».

Tout en restant dans la même veine – changement oblige ! –, la loi 2013-660 du 22 juillet 2013 a procédé à un nombre important de changements en matière de coopération et regroupement des établissements, par introduction de nouvelles formes structurelles et suppression d’autres.

La logique qui les sous-tend est avant tout territoriale, dans la droite ligne de « l’Europe des régions » et de la spécialisation des territoires au service de « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde », en complète contradiction avec la réalité des coopérations scientifiques.

Il s’agit aussi de mettre un terme définitif à une anomalie : la démocratie à l’université, pourtant déjà largement affaiblie avec la loi dite LRU de 2007.

**Big is beautiful ?

Ainsi la loi dispose-t-elle que, sur un territoire donné qui peut être « académique ou inter-académique », un seul établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel [[ Les différents types d’ EPSCP sont :

les universités, les écoles et instituts extérieurs aux universités, les écoles normales supérieures, les grands établissements, les écoles françaises
à l’étranger, les instituts nationaux polytechniques, et désormais les COMUE.]] (EPSCP) soit chargé de la coordination de la politique d’ESR [[Introduit par la loi de décentralisation de janvier 2014.]].

Il doit pour cela définir un projet (scientifique et pédagogique) prenant en compte le schéma régional d’ESR et d’innovation défini par la (ou les ?) région(s) concernée(s).

Une exception est faite pour la région parisienne où peuvent coexister plusieurs établissements coordonnateurs (on y décomptait 8 PRES jusqu’au 1er septembre 2013).

La loi prévoit une incitation forte au regroupement par le biais de contrats avec l’État communs aux établissements regroupés, afin que tous les établissements dépendant directement du ministère de l’ESR se rassemblent à court ou moyen terme sous l’une des trois formes suivantes : fusion en un seul EPSCP, participation à la nouvelle structure d’EPSCP créée par la loi et baptisée communauté d’universités et d’établissements (COMUE), ou association par convention à un EPSCP.

L’établissement coordinateur sera aussi chargé de répartir entre ses membres les moyens accordés par l’état dans le cadre de ce contrat commun.

La loi actant la suppression du statut adopté par la plupart des PRES, ces derniers ont été automatiquement transformés en COMUE au 1er septembre 2013 par les dispositions transitoires.

Outre l’éloignement des centres de décision en matière de recherche et de formation que provoque la création de telles superstructures, le danger qu’elles portent est d’aspirer progressivement l’essentiel de ce qui est considéré comme « prestigieux » ou « rentable » dans les établissements.

Couplée au lancement du deuxième plan d’investissements d’avenir, cette politique s’inscrit dans un modèle d’ESR à deux vitesses, où des universités de recherche intensive, à « dimension mondiale » coexisteraient avec des universités « de taille régionale », établissements de seconde zone, chargés du seul cycle de licence et déconnectés de la recherche.

Cela aurait des conséquences néfastes sur les capacités de recherche de notre pays, mais aussi sur les possibilités d’accès aux études supérieures des enfants issus de milieux modestes.

**COMUE…

Les COMUE sont, elles aussi, des EPSCP, avec un fonctionnement un peu différent de celui des universités, même si elles comportent des conseils avec une appellation identique.

Mais plus les établissements qui les composent sont nombreux, plus la proportion d’élus des personnels peut diminuer au conseil d’administration, et l’obligation de scrutin direct disparaît.

Elles ont surtout en plus un conseil des membres, composé d’un représentant par établissement membre, associé à la préparation des travaux des autres conseils, donnant préalablement un avis en particulier sur le budget et le contrat avec l’État, ce qui risque fort de transformer les autres en chambre d’enregistrement.

Par ailleurs, aggravant la confusion entre public et privé qui se développe à tous niveaux dans l’ESR, la loi introduit la possibilité pour une COMUE de compter parmi ses membres des établissements privés d’ESR par voie d’association ou d’intégration dans la COMUE (prononcée par décret).

Cela conférerait ainsi à ces derniers, en tant que membres, le droit d’intervenir directement sur le projet de la COMUE dont découle le contrat signé avec l’État, et en particulier d’avoir leur mot à dire sur le volet concernant les formations, voire de bénéficier d’une partie des moyens…

De surcroît, les dispositions législatives permettent une confiscation à terme des prérogatives de leurs établissements membres. En effet, toute modification ultérieure des statuts sera votée par le seul conseil d’administration de la COMUE, sans consultation des conseils d’administration des membres, ouvrant ainsi la porte à une possible extension des compétences transférées sans l’accord de tous les établissements concernés.

**Association…

Ouverte également aux établissements privés, initialement absente du projet de loi et introduite au cours des débats parlementaires, la modalité de regroupement par association est très peu cadrée par la loi, qui précise pour l’essentiel que l’association se fait autour d’un EPSCP, et que la convention d’association doit prévoir les modalités d’adoption par les associés du contrat pluri-annuel commun.

C’est pourquoi les personnels mobilisés contre les projets de COMUE progressivement communiqués prônent, comme moyen de les bloquer à court terme en attendant que la loi change, le regroupement par modalité d’association, apparemment plus souple et permettant plus facilement le retrait d’un établissement du regroupement.

Certains y voient même un cadre plus démocratique nécessitant l’accord de chacun des établissements pour toute décision.

Cette analyse n’est pas partagée au sein du SNESUP-FSU, ni même au sein des camarades ÉÉ du sup : l’absence de cadrage réglementaire du fonctionnement de cette modalité inquiète certains qui y voient la possibilité que l’établissement coordinateur ne se taille la part du lion et ne vassalise de fait les autres.

**Fusion…

Comme les fusions d’universités déjà effectuées depuis quelques années (Strasbourg, Lorraine, Aix-Marseille, Bordeaux) ont montré leurs effets néfastes sur les conditions de travail et leur coût faramineux pour des budgets exsangues, cette dernière modalité semble évidemment pire que les autres.
Le choix du « moins pire » ?

Comme toujours, si l’analyse est commune, les appréciations divergent sur la façon d’obtenir le rapport de forces pour lutter efficacement contre ces dispositions et en obtenir d’autres, permettant de pratiquer des coopérations ayant réellement un sens.

Le SNESUP réclame un moratoire d’un an et des modifications législatives, et engage ses sections à obtenir des motions de conseils d’établissements allant dans ce sens.

Si le vote au CNESER sur cette demande de moratoire a été majoritaire avec l’appui d’organisations initialement favorables à la loi, la mobilisation sur le terrain en faveur du moratoire est restreinte.

Les tenants de l’association ont semble-t-il mieux réussi à mobiliser en région parisienne, où les regroupements issus des PRES sont en passe d’être reconduits dans des COMUE, alors qu’ils n’ont aucune cohérence territoriale, en plus de leur incohérence scientifique.

Ils y voient l’unique moyen actuel d’éveiller l’attention des collègues et de les mobiliser sur cette question, en leur montrant une modalité que le ministère écarte a priori dans l’essentiel des cas.

Toutefois, même en cas de succès, cette voie est périlleuse : compte tenu de la composition des conseils d’administration, avec les élus « godillots » des listes majoritaires portant les président-es, le risque est qu’ils votent aussi bien une convention d’association scandaleuse que des statuts de COMUE…

Il faut alors souhaiter qu’un changement de majorité dans les conseils d’administration permette d’en sortir, mais la soumission actuelle au diktat « TINA » est proprement terrifiante dans un milieu qui se pique d’une tradition d’esprit critique ! ●

Claire Bornais