Pour la rédaction égalitaire des textes syndicaux

Texte présenté par Cécile Ropiteaux au CDFN de mai 2014, pour la Commission Femmes de la FSU.

CDFN des 20 et 21 mai 2014

Précisons que ce n’est qu’un des chantiers de la FSU en matière de lutte pour l’égalité !

Nous saluons d’ailleurs le travail du secteur Situation des Personnels par exemple, qui s’empare des questions d’égalité professionnelle. Nous avons aussi une réflexion sur la place des femmes dans les syndicats, les prises de parole… Et un gros travail se fait dans nos syndicats de l’éducation autour de l’éducation à l’égalité.

Autre précision : nous ne nous situons pas une démarche essentialiste mais nous partons du constat que notre société fonctionne selon une bicatégorisation systémique hommes/femmes, qui induit hiérarchie, domination et inégalités, et c’est dans ce système que nous devons réfléchir à comment aller vers plus d’égalité.

Dans les textes de notre dernier congrès, nous avons écrit : « un groupe de travail fera des propositions au CDFN ».

Après avoir évoqué ce travail en BDFN, le secteur Femmes présente aujourd’hui ses propositions au CDFN, propositions qui ont été mises en œuvre pour la féminisation des textes issus de ce congrès de Poitiers.

Nous avons d’ailleurs eu des retours sur la féminisation de ces textes : des craintes ont été dissipées chez certaine-es de nos militant-es, qui ont trouvé que ce n’était finalement « pas si lourd ».

Qui a dit que le féminisme était lourd ?

**La rédaction égalitaire : pourquoi ?

Une meilleure prise en compte de la mixité par le langage, ce n’est pas anecdotique. Le combat pour l’égalité des sexes passe aussi par une évolution de la langue.

Selon Pierre Bourdieu, le discours «ordonne» symboliquement le monde. Il permet d’intérioriser, d’accepter, de légitimer les relations de pouvoir, de structurer notre perception de la réalité.

Si le langage est « la forme symbolique des relations de pouvoir », il peut, par conséquent, représenter et organiser la hiérarchie entre les sexes. Ce qui signifie en d’autres termes que notre façon de parler ou d’écrire contribue, de manière inconsciente et probablement non intentionnelle, à maintenir les différentes formes de discrimination envers les femmes.

« On entend par androcentrisme une façon de voir et de comprendre la réalité sociale qui prend l’homme et le masculin comme référence universelle, comme centre et mesure de toute chose.

Nous introduisons par là-même une hiérarchie : « le masculin englobe le féminin », apprend-on en grammaire traditionnelle. Le masculin renverrait à l’être humain universel, complet, au paradigme, au modèle.

Et le féminin, au « spécifique », au particulier, à l’incomplet, imparfait. Les femmes sont invisibilisées, exclues. Leurs réalités, leurs expériences et connaissances se retrouvent occultées. » Sabine Reynosa (guide CGT : Décalogue pour une rédaction non-sexiste).

Le langage est politique, il peut aussi être un plafond de verre supplémentaire pour les femmes.

Selon nos choix d’expression et de rédaction, le langage concourt à l’invisibilité ou au contraire à une meilleure visibilité des femmes et de leur rôle dans la société. Il peut contribuer à faire évoluer les mentalités.

Le masculin n’est pas neutre ; pris comme générique, il dissimule les femmes, et même les conforte dans la subordination sociale.

Réjouissons-nous ! Ce n’est pas inéluctable ! Cet androcentrisme linguistique est un construit historique et social, donc peut être déconstruit.

La langue est vivante, novatrice. A nous de la faire évoluer, de questionner dans un premier temps les mots et l’usage que nous en faisons.

A nous d’être créatifs et créatives ! Inventons le neutre ! Réhabilitons le féminin !

Prenons l’exemple du mot « autrice » et de son histoire.

Ouh, quel abominable néologisme, direz-vous peut-être. Et bien vous vous trompez doublement. Abominable ? Non, simplement peu familier pour nos oreilles, tout est question d’usage. Néologisme ? Certainement pas !

Le mot autrice est en usage dès le haut moyen-âge, son emploi se multiplie et se diversifie entre le XIIe et le XVIIe siècle, mais il suscite aussi l’opposition de grammairiens et de lettrés.

Au XVIIe, l’académie va accepter traductrice (d’un auteur homme), mais affirmer qu’auteur n’admet pas de féminin. Et autrice disparaît en moins d’un siècle, littéralement éradiqué des manuels de langue et autres dictionnaires.

Rappelons le contexte du XVIIe : c’est la monarchie absolue, les femmes de plus en plus écartées du pouvoir, les règles de la grammaire sont fixées par l’Académie française, et le masculin l’emporte sur le féminin.

Dans la France pré-révolutionnaire, Rétif de la Bretonne tentera de réintroduire l’usage d’autrice, dans sa promotion d’une langue rénovée, plus égalitaire et plus démocratique. D’autres s’en empareront aussi aux XIXe et XXe.

Il ne s’agit pas de préconiser forcément l’emploi de cette forme autrice, usitée en Suisse et en Afrique francophone, l’usage préfèrera peut-être auteure, comme au Québec.

A noter que le mot autrice a réintégré nos dictionnaires, avec toute sa légitimité étymologique, dès la fin du XXe siècle. Il s’agit de montrer comment des choix délibérés ont pu influer sur le devenir du langage.

Ce qui a été supprimé et est tombé en désuétude peut être restauré. Quelle place laisse-t-on aux femmes dans la société ? Quelle place leur laisse-t-on dans la langue ? Faire évoluer la langue, orale et écrite, par l’usage, c’est politique.

Prenons un autre exemple, celui de la règle d’accord qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin. Une telle maxime enseignée à tant de générations d’écolières et d’écoliers n’a-t-elle pas été lourde de conséquences sur leur représentation du monde et des rapports sociaux de sexe ?

Est-il normal de dire « dans cet accident, 50 femmes et un chien sont morts ? »

Est-il normal, par exemple, dans le premier degré, pour la profession de professeur-e des écoles féminisée à plus de 80 % de parler d’enseignants, de directeurs, de maîtres-formateurs ?

Et bien cette règle n’a pas toujours été : il a existé une règle de majorité qui fait que le féminin peut aussi « l’emporter ».

Le Grévisse fourmille d’exemples de ce genre, où de grands auteurs ont utilisé des accords de proximité ou quantitatifs.

Nos élèves ont toujours parlé de LA profe, ou LA proviseure. N’allons pas à contre-courant.

Dans d’autres pays : Espagne, Québec, Belgique, Suisse il existe des guides de rédaction anti-sexiste.

A nous de prendre toute notre place dans cette évolution nécessaire de la langue. C’est important pour les personnels que nous représentons, et également pour les jeunes que nous formons.

**La rédaction égalitaire : comment ?

Quels textes ?

Tous nos textes sont concernés : publications fédérales et presse de nos syndicats, communiqués de presse, tracts… ainsi que nos interventions orales. Aujourd’hui, dans la FSU, on entend fréquemment « bonjour à toutes et tous », cela semble devenu naturel. On peut, on doit continuer à évoluer dans ce sens.

Quelques principes : nous préconisons une certaine souplesse, une imprégnation progressive, mais il faut démarrer !

Premier principe : il est nettement préférable d’avoir cette préoccupation dès la rédaction initiale plutôt que d’effectuer un replâtrage après coup.

Plusieurs procédés pour nommer des groupes incluant hommes et femmes :

  • quand le nom ne change pas à l’oral entre le masculin et le féminin.

    Exemple : salarié et salariée. A l’écrit, plusieurs choix sont possibles :

    • salarié(e)s → là, on met le féminin entre parenthèse, sur un plan symbolique c’est assez mal venu…
    • salariéEs → pas génial au niveau graphique, parasite la lecture (rupture)
    • salarié-e-s → forme assez usuelle (ou : salarié.e.s)
    • salarié-es → choix du secteur femmes de la FSU ; allège un peu la forme précédente (même si moins rigoureuse sur le plan grammatical peut-être)

Aucun de ces procédés n’est officiellement préconisé, on est plutôt sur le niveau de choix militants.

  • quand le nom change à l’oral, selon les cas on peut reprendre le procédé décrit précédemment (les militant-es) ou choisir d’écrire les deux formes en toutes lettres : actrices et acteurs (sans doute préférable à acteur-trices).

    En cas d’accent grave, on peut préférer étranger-es à étranger-ères, même si c’est moins rigoureux.

A l’oral, il faut décliner le doublon quand les deux formes n’ont pas la même prononciation. On dira par exemple les électrices et les électeurs. Ou on pourra employer un mot collectif, comme l’électorat.

Formateurs et formatrices = équipes de formation

On peut soit nommer le féminin ET le masculin, soit effacer le genre.

Au Moyen-Age, on ne se contentait pas de la forme masculine, on précisait « ceux et celles », « tous et toutes », on utilisait des expressions telles que : « créatures humaines », « la personne qui… », « quiconque, femme ou homme », « il ou elle doit savoir que… ».

En cas de doute sur le féminin d’un nom (profession, fonction…), il existe un guide officiel d’aide à la féminisation qui date de 1999, intitulé « Femme, j’écris ton nom » :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/994001174/0000.pdf

NB : Y figure notamment le féminin agente, encore peu usité (et donc à promouvoir !)

Accords des adjectifs qualificatifs épithètes : on peut les féminiser aussi… ou pas ! C’est un choix à effectuer, nous le faisons peu.

Mais il y a aussi d’autres façons, comme la remise au goût du jour de la règle de proximité pour l’accord de l’adjectif, qui faisait écrire à Racine au XVIIe siècle : « Ces trois jours et ces trois nuits entières » (Athalie, I, 2).

Cas particulier de TOUT : on peut écrire tou-tes pour l’adjectif indéfini, et toutes et tous quand il s’agit des pronoms : tou-tes les élèves ; au service de toutes et tous.

Penser aux autres formes : l’ensemble des élèves, chaque élève…
celles et ceux, toutes et tous, chacun-e, quiconque, qui, on, chaque, les personnes, celle ou celui…

ATTENTION ! Certaines formules présentent toutefois des nuances de sens ! Ainsi la FSU, dans l’éducation, revendique la réussite de toutes et tous, et non pas de chaque élève !

Quand c’est possible, utiliser des mots collectifs (la population, les personnels, l’électorat, la direction, le secrétariat, le corps enseignant…) ou des mots épicènes (féminin et masculin sont identiques → élève, fonctionnaire, spécialiste, responsable, apte à, chaque…).

les personnes, la présidence, la direction, le corps enseignant, les membres de la délégation, la clientèle, l’électorat, le lectorat, le service informatique, l’équipe administrative, le personnel d’entretien, le secrétariat, le siège, le comité de suivi, le personnel technique et d’encadrement, les contribuables, les journalistes scientifiques…

Droits de l’Homme : droits humains

remplacer « fraternellement » par « solidairement »

Le « vrai » neutre existe peu dans notre langue.

On peut aussi aller plus loin, et inventer des formes neutres novatrices (faire preuve de créativité !)

Cohérence du texte / lisibilité : on peut choisir la rigueur et donc la féminisation systématique, ou faire le choix d’une féminisation plus « light ».
Mais ne pas rester au « niveau zéro » !

Il est important de toute façon de veiller à rendre les femmes « visibles », notamment quand on veut insister sur leur situation (accès aux métiers et fonctions, particularités, majorité et représentativité…) : enseignant-es, chômeuses et chômeurs…

Pour avoir un aperçu, on peut se référer aux textes du congrès de Poitiers, qui ont été publiés dans cet esprit.

Pour creuser un peu :
quelques consignes du Québec (2006) : http://osez-dare.ainc-inac.gc.ca/tr/guide-fra.asp