Maternelle : mythe et réalité d’une école à réinventer

Depuis le début des années 80, tous les enfants fréquentent l’école maternelle et de nombreuses études ont mis en évidence l’incidence positive de cette fréquentation sur la réussite scolaire ultérieure.

Pourtant tous les élèves n’abordent pas l’école élémentaire
dans les mêmes conditions.

Alors que quasiment tous sont entrés dans les apprentissages, les inégalités scolaires mises à jour lors de l’étape de la scolarité que constitue le CP sont très significativement corrélées aux inégalités sociales.

L’école maternelle est donc dans le meilleur des cas, dans l’incapacité de réduire ces inégalités et dans le pire, contrairement aux objectifs qui lui sont assignés, il est possible qu’elle contribue à les creuser.

**Pré scolarisation
ou scolarisation ?

Si le triptyque « éducatif, propédeutique et gardiennage » de la circulaire de 1977 a constitué un assemblage qui justifiait à l’époque le bien-fondé de l’école maternelle, le caractère « scolaire » qui est maintenant dévolu à cette école a entraîné des mutations aussi bien dans les attentes institutionnelles et parentales que dans les pratiques au sein des classes.

Après une période de relative autonomie de l’école maternelle par rapport à l’enseignement élémentaire, on observe depuis le début des années 80 une prise de distance avec les structures de la petite enfance et un rapprochement avec les autres composantes du système scolaire.

La loi d’orientation de 1989 organisant la scolarité en cycles maintient la grande section dans l’école maternelle mais la place aussi dans le cycle des apprentissages fondamentaux et la relie ainsi de façon étroite à l’école élémentaire.

Malgré la référence conservée à la globalité de l’enfant, les apprentissages visés sont énumérés en lien à des domaines spécialisés : phonologie, littérature, éducation artistique ou scientifique. La logique de compétences prend le pas sur la logique développementale basée essentiellement sur l’échelle des âges.

Le modèle d’avant les années 80 qui valorisait la créativité, l’épanouissement et l’expression de l’enfant est remplacé par celui de l’efficacité et de la productivité. Les évaluations pratiquées en grande section renforcent les apprentissages systématiques.

**Primarisation
de l’école maternelle

Dans un contexte de crise économique qui ne peut ignorer la corrélation entre réussite scolaire et accès à l’emploi, l’injonction scolaire confortée par le contenu des programmes et articulée aux exigences parentales d’efficacité a conduit les enseignant-es à modifier leurs pratiques.

Les formes scolaires spécifiques à l’école maternelle – par exemple l’alternance entre le collectif et les ateliers – ont vu leur sens insidieusement glisser sans que cette évolution n’ait fait l’objet d’une réflexion ou d’une théorisation.

De plus en plus, les classes sont organisées de façon similaire, quel que soit l’âge des élèves et l’accès libre aux jeux de plus en plus limité. Dans le même temps, les productions de type papier crayon sur table se multiplient.

L’utilisation de la « fiche » au cours des années 80 a été renforcée par le développement des sites en ligne et des outils de reproduction présents dans toutes les écoles. L’organisation en ateliers demeurant majoritairement pratiquée, il est ainsi fréquent que des élèves soient amenés à réaliser seuls une tâche alors que l’enseignant-e prend en charge un autre groupe d’enfants.

Ces activités sollicitant la réflexivité et l’autonomie des élèves sans véritable possibilité d’étayage de la part de l’enseignant placent les plus éloignés de la culture scolaire devant des difficultés difficilement surmontables seuls.

Tout comme l’ont constaté de nombreuses recherches à l’école élémentaire, les enseignant-es de l’école maternelle sont alors conduit-es à moduler leurs attentes et leurs interventions en fonction des aptitudes supposées ou réelles des élèves, conduisant les uns vers davantage d’autonomie et les autres vers la réalisation de tâches moins complexes.

**Retour en arrière

Le retour plein et entier de la grande section à l’école maternelle suffira-t-il à endiguer cette « primarisation » de l’école maternelle que même les IG dénoncent ?

Il n’est pas pour autant question de revenir à la « pédagogie invisible » des années 70 d’une école maternelle conçue comme lieu d’épanouissement et qui véhiculait de nombreux implicites tout aussi différenciateurs.

D’autres voies doivent s’ouvrir qui passeront nécessairement par une formation solide prenant en compte les résultats de la recherche et par des allègements d’effectifs dans les classes. ●

Claude Gautheron