L’insoutenable continuité de la loi LRU

Peu d’universitaires s’attendaient vraiment à ce que le nouveau gouvernement rompe avec les politiques de droite dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Beaucoup espéraient néanmoins
une inflexion significative de la loi LRU. Ils en sont pour leur frais…

La loi « Fioraso », loi d’orientation et non de programmation, n’envisage même pas de garantir une évolution des budgets des établissements conforme à l’évolution de leurs charges, comme promis durant la campagne pour les présidentielles.

Elle est présentée comme le résultat des « Assises » de l’ESR organisées à la rentrée, de façon très hiérachique en excluant les questions qui fâchent, comme budget ou précarité. Mais elle rappelle assez peu les préconisations issues de cette pseudo consultation. Conformément à la prévision pessimiste qu’EE-PSO faisait de la politique à venir de « Miss Dollar » – ainsi que ses collègues de startup l’avaient autrefois surnommée – le projet de loi présenté au CNESER dans sa version du 8 février peut d’emblée être renommé de façon synthétique : LRU2. L’acronyme LRU reste parce que la loi LRU demeure, et d’abord les fameuses « responsabilités et compétences élargies » (cf revue ÉÉ n° 33) qui permettent à l’État de précipiter les établissements dans le déficit budgétaire et donc dans leur hétéronomie (dépendance aux entreprises, aux collectivités locales…). Le chiffre 2 s’impose parce que la loi va encore plus loin dans la soumission du service public national aux intérêts privés et aussi dans sa « territorialisation ».

Des universités aux ordres
du MEDEF et des Régions

Dès l’art.3 en effet, il est question de « stratégie nationale » définie « en concertation avec les partenaires sociaux et économiques », c’est-à-dire le MEDEF. La loi Pécresse prévoyait une contribution de l’ESR à la « croissance […] dans le cadre de la planification ». La loi Fioraso supprime toute référence à la planification, en ajoute une à la « compétitivité » et encore une autre à « l’attractivité du territoire ». La LRU demandait aux établissements de contribuer à une « politique de l’emploi prenant en compte les besoins actuels ». La LRU2 précise qu’il s’agit des « besoins des secteurs économiques », sans doute afin d’éviter que l’on puisse penser qu’il s’agirait des besoins de la population… De même, loin de renoncer à la « valorisation des résultats » de la recherche, elle veut accélérer leur « transfert […] vers le monde socio-économique ».

Mais c’est par la fusion ou le regroupement obligatoire des universités par « territoire » (académique ou inter-académique) que la LRU2 s’attache le plus à faire reculer le service public, notamment de proximité. Il s’agit que les établissements « coordonnent leur offre de formation et leur stratégie de recherche et de transfert » en prenant « en compte les orientations fixées par les schémas régionaux ». En clair : les universités doivent réduire leur voilure et les étudiants prendre le TER. Mais la loi vise plus haut, qui prévoit aussi la suppression de l’habilitation nationale des diplômes et des formations (qui sous entendait leur financement national) ; c’est l’établissement qui sera « accrédité » à délivrer les diplômes nationaux pour la durée d’un contrat pluriannuel passé par l’État avec le regroupement d’universités. Étant donné que les schémas régionaux visent à la « spécialisation intelligente des territoires » et que l’acte III de la décentralisation doit accorder aux élites provinciales (qu’on sait perméables aux injonctions marchandes et productivistes) un poids accru en matière d’ESR, c’est la croissance des inégalités interrégionales et une mise sous tutelle du MEDEF des formations et de la recherche qui sont ainsi programmées.

Une « gouvernance »
sous haute surveillance

Le pouvoir de l’État, des régions et du patronat sur les universités est renforcé par la LRU2. Ainsi – ce à quoi V. Pécresse avait dû renoncer – les personnalités extérieures, un quart du CA de l’université, vont-elles participer à l’élection du président par ce CA. Dans une première version, c’était le recteur qui les nommait. Dans la dernière, à côté des représentants des collectivités, le président du conseil économique, social et environnemental régional désigne (au moins) un porte-glaive patronal et un portefaix syndical (CFDT ?).
Pour le reste, le pouvoir absolu sur les établissements accordé aux présidents par la LRU n’est pas remis en cause, à quelques aménagements près. Les conseils sont un peu plus achalandés mais la sous représentation des personnels techniques et administratifs est maintenue. Les listes doivent être paritaires en genre mais c’est une gageure pour le corps des professeurs d’université tant que moins d’un quart des postes sont laissés aux femmes. La prime majoritaire accordée aux listes d’enseignants-chercheurs arrivées en tête lors des élections n’est plus que d’un siège (sur 6 à 8 sièges, contre 3 à 4 précédemment, sur 5 à 7 sièges), mais les élections pourront comporter deux tours. Le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire disparaissent, ou sont rebaptisés commissions « de la recherche » et « de la formation et de la vie universitaire » (études devient formation), au sein d’un conseil académique (CoAc) qui acquiert quelques pouvoirs autres que consultatifs en matière d’examens, de recrutement, de section disciplinaire de façon à décharger le CA. Ce CoAc a son propre président et un vice-président étudiant désignés selon des modalités à définir par chaque établissement. Certes, la « désignation » peut se faire par une élection, mais rien n’empêche que ce soit par le président de l’établissement.

La course à l’abîme continue… Jusqu’à quand ?

En rien, la LRU2 ne remet en cause le recul démocratique de la LRU, non plus que l’empilement des couches bureaucratiques de pouvoir. Les deux leviers de la soumission de la recherche aux intérêts privés à court terme, l’agence nationale de la recherche (ANR) et le crédit impôt-recherche, en sortent indemnes. Le catalogue à la Prévert des autres mesures de la LRU2, notamment celles à vocation prétendument pédagogique, est à l’avenant.
Finalement, cette loi ne fait que confirmer l’étroitesse d’esprit des dirigeants du PS, dont le seul horizon de pensée semble être de se vautrer dans les suicidaires concurrence, compétitivité et productivisme capitalistes. L’université du savoir, de l’esprit critique et de la démocratisation des connaissances exige une autre loi et… un autre gouvernement ! ●

Jean-Luc Godet

Alerte rouge sur la situation
des Sciences Humaines et Sociales

La situation des Sciences Humaines et Sociales (SHS) au sein des établissements (universités et organismes de recherche) est à ce jour dans un état de dégradation préoccupant.

Au niveau local, les moyens alloués aux SHS, qui accueillent 65% des effectifs étudiants, ne cessent de diminuer. Les dernières données nationales de 2010 (absence de sources nationales depuis le passage des universités aux responsabilités et compétences élargies) montrent qu’entre 2000 et 2009, les personnels et les moyens en SHS n’ont cessé de décroitre au profit des sciences « dures », pour arriver à 41% des effectifs d’enseignants-chercheurs. De même, selon l’enquête menée en 2009 par l’intersyndicale du Supérieur, les précaires parmi les personnels enseignants-chercheurs et administratifs, atteignant le taux record de 30 %, sont majoritairement issus des SHS, post-trentenaires et des femmes.

Au niveau national, la Cour des Comptes vient d’interpeller le CNRS sur le repli préoccupant de l’investissement dans les SHS de cette institution stratège de la recherche. De même, l’Agence Nationale de la Recherche ne finance la recherche publique par projet qu’à hauteur de 5 % en SHS.

Aujourd’hui, les personnels SHS parviennent de moins en moins à exercer leurs métiers par manque de moyens humains et financiers. Nombre sont en limite de burn-out. L’Etat ne semble pas avoir saisi la gravité de la situation… Et rien dans le projet de loi « Fioraso » ne prévoit de remédier au problème !

Heidi Charvin