Souffrance des enseignants, méfions-nous des formules toutes faites

Dans la revue N° 32, Christophe Hélou rendait hommage à notre collègue de Béziers.
Si nous sommes en accord avec certains de ses constats, ses analyses ou conclusions appelaient une réponse avec un positionnement différent.

L’école aurait cessé d’être une préoccupation première des gouvernants. Mais la disqualification de l’école, de ses savoirs, ses agents, a justifié le flot des contre-réformes. La préoccupation des gouvernants depuis vingt ans a justement été la formation d’une main-d’oeuvre soumise aux marchés. Ce qui a conduit à des transformations profondes de l’école.

La sélectivité sociale de l’école dans l’obtention des diplômes et des places sociales aurait augmenté. Avant les années 70, l’école était tout autant sélective sans se voir de la même façon : le collège et le lycée étaient réservés à une minorité. Mais, la massification sans démocratisation et l’augmentation du chômage ont creusé les inégalités et renforcé l’exclusion scolaire. De cette prétendue augmentation de la sélectivité découlerait une stigmatisation des enseignants par leurs « victimes », les élèves . Or, leur agressivité ne se résume pas à cela : adolescence, construction du rapport au savoir scolaire, échec, ségrégation scolaire et sociale. Dans bien des cas, au contraire, l’enseignant est une référence et un élément de réassurance pour les élèves, face à au monde.

Des victoires politiques
qui se paient cher
professionnellement ?

La disqualification de l’autorité par injonction serait une grande victoire politique… si elle était une réalité. Sauf que tout montre qu’elle n’est pas socialement disqualifiée. A l’école, l’autorité pose la question de la transmission des savoirs : c’est le cadre de mise au travail des élèves qui permet le processus éducatif. Il ne s’agit pas là d’injonction mais de pédagogie, de gestes professionnels. Dans l’immédiateté, il peut effectivement y avoir injonction, mais elle s’exprime argumentée. Si on peut dire « taisez-vous ! », on peut et on doit en expliquer, à un autre moment, la raison pour écouter, pour s’écouter, ce que les élèves comprennent.

On peut d’ailleurs noter la disparition des vrais chahuts organisés comme il a pu en exister chez des générations confrontées à une autorité aveugle et sans discussion.

Comment écrire que le constructivisme est un grand progrès politique ? Cette pédagogie, au départ, rencontre la nôtre qui est celle de l’Education émancipatrice : ne pas gaver les élèves, ne pas faire fonctionner qu’une mémoire. De fait, ce n’est pas vraiment novateur : « Mieux vaut une tête bien faite, qu’une tête bien pleine » disait Montaigne. Mais y a-t-il opposition ? On fonctionne sur l’idée que l’école d’autrefois aurait seulement demandé d’apprendre et pas de comprendre. On était moins dans la conceptualisation mais on cherchait à comprendre aussi. Concernant la pédagogie active, ses théories sont restées minoritaires. On en a retrouvé une version édulcorée dans « la mise en activité » des élèves ou les méthodes «hypothético-déductives» dans la formation des IUFM. Il faut interroger la pertinence de ces «méthodes» pour la réussite de tous : à qui bénéficient-elles si ce n’est aux élèves des milieux sociaux les plus favorisés ? Quid des élèves des milieux socialement défavorisés qui n’ont pas accès à la culture à la maison pour « construire leur savoir » ?

Au final, cette « pédagogie », telle que récupérée par l’institution, construit la relégation.

Les élèves ont toujours été le centre de l’activité de l’école. Par contre, discutons de la place de l’élève dans l’activité enseignante. « L’élève au centre » est une formule toute faite. Le triangle de l’activité schématise mieux l’activité enseignante : l’enseignant, l’élève, les apprentissages/savoirs. L’élève n’est pas au centre. Il est un des éléments d’une triangulation entre celui qui transmet et ce qui est transmis.

Souffrance
et organisation du travail

Autre implicite : la souffrance des enseignants serait récente. L’histoire et la littérature témoignent que la souffrance enseignante a toujours existé, des maîtres des petites écoles de l’Ancien Régime aux professeurs du XIXème. On idéalise les « hussards noirs de la République », mais eux mêmes ont parlé de leur souffrance. La nouveauté est l’émergence, la prise en compte de cette souffrance. Elle ne se met pas en scène, elle se vit, elle se dit (ou pas), elle détruit aussi. Félicitons-nous d’être sortis du silence.

Que fait l’organisation du travail ? Mais celle-ci n’est pas une entité transcendante. Construite par l’institution, elle est éminemment idéologique. Or, ceux qui travaillent en sont dessaisis. Il s’agit de s’en emparer : restaurons les collectifs, luttons contre l’individualisation, l’isolement, cette solitude si mal vécue du travail enseignant. ●

Céline Boudie et Elisabeth Hervouet