Loi d’orientation : changement de cap ?

Depuis les années 90, la démocratisation du système éducatif est en panne, voire en recul,
« l’effort scolaire » en terme de moyens et de politiques éducatives est à l’arrêt, réformes et dispositifs s’empilent, la baisse des moyens s’accompagne d’attaques et de régressions…

Sarkozy a laissé une école exsangue. Les milliers de suppressions de postes ont permis une destruction structurelle qui, à son tour, a laissé place au laminage des missions et des objectifs assignés à l’école. Avec la loi Fillon qui renforce les inégalités sous couvert d’expérimentation et de déréglementation, avec la gouvernance qui impose ses règles managériales calquées sur l’entreprise, l’école que nous lègue la droite est profondément en crise. Celle-ci atteint les personnels, les familles, les élèves. L’école, ce n’est donc pas un outil à réparer ou à consolider. Après cette politique de terre brûlée, il faut la refonder !

Comment faire ?

Pour une telle tâche, le gouvernement dit manquer de temps : élu en mai, il ne peut pas bouleverser la préparation de la rentrée de septembre. Ainsi, Peillon ne rédige pas de nouvelle circulaire de rentrée, il ne remet pas en cause les choix de Chatel et surtout, il ne touche pas aux dispositifs qui divisent personnels et organisations syndicales (LPC, ECLAIR…), ce qui aurait nécessité du temps de discussion. Il choisit plutôt d’intervenir sur des questions à la marge, certes symboliques, sur lesquelles il peut agir (abrogation du décret évaluation des enseignants, restitution et création de quelques postes) et qui sont consensuelles.

Il répète à l’envi qu’il n’est pas comptable de cette rentrée-là, ce qui lui permet de s’exonérer des responsabilités sur le présent et de préparer l’avenir en engageant un « dialogue social », dénigré pendant 5 ans et, à ce titre, cher aux organisations syndicales. Il s’engage ainsi dans de nombreuses concertations (voir encart ci-contre) qui peinent à trouver une conclusion concrète, mais qui donnent le change : le ministre écoute les représentants de la profession, semble répondre aux attentes des partenaires sociaux, gagne du temps tout en éloignant les critiques. Car les grandes orientations de la loi d’orientation sont déjà tracées et la volonté de réunir 600 personnes, d’univers aussi différents (enseignants, parents, associations partenaires de l’école, sociologues, patronat, élus, recteurs…) vise à montrer que seul un consensus mou est possible pour un accord social. Et on part de si loin que tout ce qui est fait est vécu comme une avancée…

Pas de « révolution scolaire » à attendre

L’école est un enjeu de société, « un des sujets les plus importants en France aujourd’hui », citées par un tiers des Français, derrière l’emploi (45 %) mais avant le pouvoir d’achat (24 %). 78 % des personnes interrogées approuvent la création de 60 000 postes dans l’Éducation nationale et 92 % le fait de placer l’école primaire comme priorité[[ Étude Harris Interactive réalisée du 1er au 4 août 2012 auprès d’un échantillon de 1 005 personnes représentatives de la population française
âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas.]]. Peillon le sait : dès juin 2012, il tente de réparer, par des mesures d’urgence, ce qu’il nomme la « dette éducative » laissée par Chatel : des postes sont restitués (1000 pour le premier degré), d’autres sont créés (1500 AVS-i, 2000 Aed entre autres…)[[ AVS-i : Auxiliaire de vie scolaire (personnel accompagnant un élève en situation de handicap)- Aed : assistant d’éducation.]]. D’autres annonces vont à l’encontre du projet régressif de la droite : abandon du DIMA [[ DIMA : dispositif d’initiation aux métiers par l’alternance ]], réaffirmation du collège unique, par exemple… Pourtant, au-delà de ces mesures d’urgence, il faut faire le constat qu’il n’y a, au fond, aucune démarche volontariste pour véritablement refonder l’école : pas de projet éducatif réel, et surtout aucun projet de rupture avec le précédent gouvernement, qui impulserait un nouvel élan de démocratisation.

Ce qui ne va vraiment pas

Peillon a donné ses priorités : l’école primaire, les rythmes scolaires et la formation des enseignants. Pour 1er degré, il a restitué des postes, en a promis d’autres. Le second chantier, celui de rythmes, hérité de Chatel, il le poursuit dans la droite ligne de son prédécesseur. Pour la formation, en revanche, il doit s’en affranchir et n’a pas de mal à faire mieux après la destruction des IUFM et de la formation. Il crée donc pour 2013 les ESPE[[ ESPE : Ecole supérieure du professorat
et de l’éducation.]] pour la formation des enseignants, mais il met aussi en place des emplois avenir professeurs qui, ancrés dans la précarité, flirtent dangereusement avec les masters en alternance. A côté des priorités, il y a les inchangés : la droite avait imposé le socle, le LPC, les dispositifs d’individualisation, l’assouplissement de la carte scolaire, la réforme des lycées, la destruction de l’éducation prioritaire. Sur tous ces sujets qui fâchent la profession et divisent les organisations syndicales, Peillon joue la montre !

Côté personnels, aucune annonce sur le conseil pédagogique, pas de décision au sujet du jour carence, ni sur la revalorisation : « pour revaloriser le métier d’enseignant, il ne faudra pas compter sur une enveloppe budgétaire supplémentaire pour les salaires ». Le message de Bercy à la rue de Grenelle a été très clair cet été. Vincent Peillon semble l’avoir intégré. « Pas forcément les syndicats », commentaient fin août « Les Échos ».

Vaste chantier

Les mesures prises à la marge, dans un budget contraint, conduiront très vite à une impasse. Pour une véritable « refondation » de l’école, il faut d’abord une volonté politique de rupture, il faut aussi un projet de société qui remette au centre les valeurs de solidarité et de partage des richesses. Les services publics, véritables amortisseurs à la crise, sont un moyen de rendre notre société plus juste et plus égalitaire. L’école a un rôle majeur à jouer pour asseoir les bases d’une telle société. Il faut donc en garantir l’accès, et les conditions de réussite et d’épanouissement à tous les élèves. Repenser un système éducatif vraiment commun, en finir avec la sélection, avec l’évaluation constante, affranchir l’école de l’employabilité, augmenter les bourses et les fonds sociaux, créer une allocation pour la jeunesse, et des pré-recrutements au lieu d’emplois aidés… Une telle politique nécessite une révolution fiscale qu’on n’obtiendra que de haute lutte. Au niveau syndical, les bras ne sont pas armés, y compris au niveau de la FSU. Il faut donc réagir : le gouvernement a changé de ton, pas véritablement de direction, pas assez en tout cas. Le mouvement social, la rue, la lutte et la grève seront nécessaires pour changer la donne.

Véronique Ponvert

Témoignage sur un groupe de travail
« Une École plus juste pour tous les territoires »

Pour le ministère, l’objet de la concertation pour ce groupe porte, à partir d’un état des lieux très général et très consensuel, sur la manière de réduire les disparités entre les établissements (éducation prioritaire et « droit commun ») et de mieux cibler l’action sur ceux qui sont en difficulté. Il a donc proposé une démarche « très ouverte » sur la base d’orientations très générales alors que sa responsabilité aurait été, pour le moins, de s’y engager réellement, en donnant des orientations politiques claires concernant l’action éducative en éducation prioritaire (quel bilan, quels contenus et quelles modalités, etc.) et de définir les questions à traiter prioritairement.

Sur un autre plan, le choix d’un calendrier très ramassé (juillet, août, septembre) est un obstacle réel pour les organisations syndicales en termes d’information et de débat avec les personnels. Sans véritable boussole et dans un temps très contraint, les difficultés que rencontrerait un groupe de travail réunissant 80 personnes d’origine très diverse et dans lequel chacun compte pour un, quelle que soit par ailleurs sa représentativité, étaient prévisibles.
Le groupe travaille en autonomie – le ministère n’intervient pas -, sans avoir une vision très claire de la suite. La concertation se transforme alors en un exercice formel relativement consensuel, une suite d’interventions très générales, dans un espace où chaque participant essaie d’exister. Cette autonomie vis-à-vis du politique a pour effet également de renforcer le poids des animateurs, ce qui peut avoir des conséquences très concrètes en terme de recommandations dans le rapport final. Au-delà de l’affichage politique, et sans l’intervention forte des personnels et des usagers, le choix du gouvernement d’un cadre budgétaire très contraint comme le contenu d’une concertation qui reste à la surface des choses risquent bien de faire de « la refondation de l’école » un simple ravalement de façade.

Christian Navarro