La zone euro dans la tourmente : la crise systémique du capitalisme s’approfondit

Les prévisions sur la croissance mondiale intègrent
de plus en plus la profondeur de la crise à la fois financière
et économique. La désagrégation du système bancaire
de la zone euro en est partie intégrante.
Elle accentue la récession qui pourrait devenir dépression,
via la déstructuration des systèmes de protection sociale
qui fait baisser plus encore le marché final.


Les capitalistes tablaient sur la Chine et dans une moindre mesure sur l’Inde pour tirer la croissance mondiale. Ils ont donc investi massivement dans ces deux pays-continents. La croissance chinoise s’oriente à la baisse – certes, elle passe des alentours de 10 à moins de 8 mais pourrait avoir des effets politiques – et celle de l’Inde stagne. Des désinvestissements des grandes entreprises, notamment françaises, dans ces deux pays en découlent. Ces prévisions mettent en lumière les changements de la conjoncture.

La crise systémique se traduit par des crises, financière, économique, sociale, politique, culturelle dans un monde qui subit de plein fouet la plus profonde crise écologique de toute l’histoire de l’Humanité. Aucun gouvernement ne se dote d’instruments capables de lutter contre toutes ces crises. Elles exercent un effet de synergie.

La dépression menace, dans ce climat de faillites, des opérateurs financiers, à commencer par les banques. La faillite d’une banque, comme l’avait démontré celle de Lehmann Brothers le 15 septembre 2008, a des conséquences sur l’ensemble de l’économie, provoquant faillite des assureurs et des entreprises dépendantes du système financier.

2011 réplique de 2007

Depuis août 2011, le capitalisme connaît la réplique de la crise financière d’août 2007. Le scénario était écrit. La faillite de Dexia révélait la dimension des questions non résolues après la première crise financière et économique en 2007-2009. Les banques centrales – la BCE en particulier – et les Etats-Nations n’ont su répondre que sur le court terme en fournissant aux opérateurs financiers les liquidités pour leur éviter la faillite individuelle. Récemment encore, la BCE a fourni, en deux fois, plus de 1000 milliards d’euros aux banques de la zone pour leur éviter la faillite. La crise financière se traduit en effet par un doute généralisé sur la solvabilité des agents économiques à commencer par les banques elles-mêmes. Le système de compensation (les banques qui ont des liquidités prêtent à celles qui en ont besoin) est gelé, ce qui accentue le risque de faillite. La BCE a répondu en créant de la monnaie, en prenant la place de ce système de compensation.
Une des conséquences de cet afflux de liquidités – dont le système financier macro économiquement parlant n’a pas besoin – est de rechercher de nouveaux terrains de spéculation en créant de nouveaux produits financiers.
Deux marchés sont sollicités, celui des matières premières et celui des dettes souveraines. Avec deux effets contraires : d’une part la hausse des taux d’intérêt pour les pays fragilisés comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal et, dans une moindre mesure, l’Italie, et d’autre part la baisse des taux pour les pays considérés comme sûrs, l’Allemagne, qui connaît des taux d’intérêt pour sa dette proches de zéro ou négatifs, et la France qui emprunte aux alentours de 3,25% sur le marché des obligations à 50 ans, un taux historiquement très bas.

Les opérateurs financiers, et c’est l’un des grands paradoxes, ne savent pas quoi faire de leurs liquidités. Ils ne prêtent ni aux entreprises ni aux ménages qui veulent soit se désendetter, soit faire face à un avenir considéré comme noir en fonction de l’augmentation du chômage, de la précarité et des baisses de pouvoir d’achat, autant du salaire direct que des prestations sociales. Les politiques d’austérité sont passées par là. Durablement, l’investissement productif baissera, mettant en cause le taux d’accumulation, la capacité de créer des richesses, et la consommation des ménages sera, au mieux, atone, grippant les deux moteurs essentiels de la croissance.

Après la Grèce, l’Espagne

L’aide de la BCE n’a pas suffi. Les banques espagnoles – après la Grèce – sont menacées de disparition. La cause en revient à la « bulle immobilière » qui a permis à l’Espagne, avant 2007, de connaître une croissance importante. En Espagne comme aux Etats-Unis, des milliers de logements restent vacants faute d’acquéreurs. La construction répondait aux seuls critères du bénéfice à court-terme. Il fallait construire pour revendre immédiatement sans s’interroger sur l’intérêt de ces bâtiments ou même de villages entiers.

L’économie espagnole a connu une très forte récession en 2009 avec une chute du PIB de 3,7%, plus faible en 2010, – 0,1 et une timide reprise en 2011 + 0,7% pour retomber vraisemblablement à - 1,8% en 2012. Le chômage connaît une hausse vertigineuse, près de 25% de la population active et les ressorts de la croissance sont cassés. Le gouvernement espagnol de droite de Rajoy a attendu avant de demander l’aide de la « troïka » – la Commission européenne, la BCE et le FMI – pour éviter de perdre une partie de sa souveraineté, à l’instar de la Grèce. Cent milliards d’euros ont été dégagés pour « recapitaliser » les banques espagnoles alors que Bankia, troisième banque du pays, avait déjà été nationalisée par le gouvernement. Ces sommes sont astronomiques. « Il s’agit de l’un des plus grands sauvetages financiers de l’histoire récente » a déclaré le Premier ministre suédois.

L’Eurogroupe – la réunion des ministres des finances de la zone euro – qui a annoncé ce plan de sauvetage a ajouté qu’il n’y aurait pas de contre partie en terme de plan d’austérité. Pourtant, le gouvernement espagnol est engagé dans un vaste plan de baisse des dépenses publiques, comme la privatisation des services publics suscitant des réactions des mouvements sociaux – les Indignés en particulier – et de sauvetage des banques qui rencontre l’hostilité des populations qui ont occupé les agences de Bankia juste avant l’annonce du plan européen, le samedi 9 juin 2012. Derrière l’annonce d’absence de contrepartie, il faut comprendre que l’Eurogroupe ne demande pas à l’Espagne de revoir son calendrier. Le Premier ministre Rajoy qui a accepté et le MES et le TSCG a demandé des délais de mise en œuvre, faute de pouvoir respecter les critères. La baisse des dépenses publiques comme la baisse du coût du travail réclamé par tous ces bons apôtres – à commencer par Christine Lagarde au nom du FMI qui veut avoir un rôle de surveillance dans le dispositif – aura comme effet mécanique de faire chuter plus encore le marché final, transformant la récession en dépression.

Crise financière…

François Hollande veut, lui aussi, diminuer les déficits publics en les ramenant à 3% du PIB en 2013 – ils sont autour de 5 actuellement – par la baisse des dépenses publiques, acceptant ainsi le cadre des nouveaux traités européens.
Or, le refus du MES et du TSCG est nécessaire… sinon c’est l’éclatement de la zone euro avec l’impossibilité d’en maîtriser toutes les conséquences. Il est plus difficile de gérer ces forces centrifuges lorsque la crise financière s’étend de la Grèce à l’Italie. La politique d’austérité imposée par Merkel devient incompréhensible face à tous ces dangers. Que recherche le gouvernement allemand de droite ? L’éclatement de l’euro ?

La crise actuelle, que les gouvernants sous estiment, n’est pas une crise des dettes publiques. C’est bien une crise financière. Préventivement, il faudrait nationaliser les grandes banques pour créer une banque publique qui ait les moyens d’une intervention dans l’économie. Les dettes publiques s’alimentent des dettes privées. Les Etats-Nations pour « sauver » leurs banquiers s’endettent sur les marchés financiers sans parvenir à éteindre un incendie qu’ils contribuent ainsi à nourrir en alimentant les marchés financiers. De ce fait, les « euro bonds » comme les « projects bonds » ne peuvent être une solution viable. Ils donnent toute latitude aux marchés financiers de décider, via les agences de notation, s’ils peuvent faire confiance ou non aux Etats. Il faut rompre avec la logique de court terme de ces marchés, il faut aller vers une BCE prêteuse en dernier ressort, capable donc de monétiser les déficits, les besoins de financement des Etats de la zone pour donner de l’oxygène et ouvrir la porte à d’autres politiques plus solidaires pour développer les biens communs et ainsi permettre la croissance sur une base plus éthique. Sinon la zone euro éclatera et la panique deviendra rationnelle !

Nicolas Bénies