Compétences, kesako ? Retour aux origines d’une notion

Compétence, un terme à priori familier pour les enseignants du premier degré, qui utilisent cette notion depuis de nombreuses années pour préparer leur classe et évaluer leurs élèves. Mais à y regarder de plus près, il est bien difficile à définir. Et pour cause, depuis son apparition dans les années 50, son utilisation a constamment évolué, au gré des mutations des objectifs politiques.

Le concept de compétence n’est pas issu du milieu scolaire mais du monde du travail. Aux lendemains de la guerre, les pouvoirs publics visant à assurer la “promotion professionnelle et sociale des travailleurs”, créent des cours du soir (prémices de la formation continue), le terme compétence apparait alors pour désigner, reconnaître et certifier “tout type de connaissance ou accroissement de connaissances obtenu dans le cadre de ces formations et susceptible de générer des capacités de réflexion et d’ouverture culturelle”.

Ce n’est que dans les années 70 que ce concept sera importé dans l’Education, développé par certains courants pédagogiques. Le choix de faire construire le savoir par les élèves, passe par la mise en activité de l’élève, la mobilisation et l’acquisition de procédures adaptées aux situations et contextualisées c’est à dire indissociables du savoir à acquérir. Dans ce cas « le savoir n’est pas au service de la compétence (…) ce sont les compétences, c’est-à-dire l’usage et la manipulation du savoir qui sont au service de l’appropriation de celui-ci » [Tilman 2005].

Dans le même temps, le concept de compétences fait son chemin dans le milieu professionnel. Au début des années 80, il est peu à peu envisagé comme un levier pour assurer l’efficacité économique des entreprises. Le patronat s’organise pour faire face aux mutations technologiques et organisationnelles, il entend former des travailleurs “mobiles” et “capables de s’adapter”. Cette logique prend toute son ampleur avec la mondialisation de l’économie et les besoins qu’elle engendre : compétitivité permanente, concurrence effrénée, rentabilité, course au profit… Le savoir des individus est désormais conçu comme faisant partie du capital de l’entreprise, il doit être développé, pouvoir être monnayé sur le marché du travail. Les grands organismes internationaux et notamment européens, s’ingèrent dans les politiques éducatives : l’OCDE lance en 1996 le projet DeSeCo (Définition et Sélection des “Compétences clés”) et crée les évaluations PISA en 1997, le conseil de l’Europe définit en 1997 la “Stratégie de Lisbonne” qui projette de faire de L’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». La notion de qualification, garante jusqu’ici des cadres collectifs, laisse place aux “portefeuilles de compétences individuelles marchandables (marketable skill)”, que les individus doivent mettre à jour régulièrement et dont ils doivent faire la preuve auprès de l’employeur (contrairement à la qualification, la compétence n’est pas définitivement acquise).

Les réformes éducatives françaises de ces 2 dernières décennies n’ont fait que suivre ces préconisations. C’est le cas de la Loi d’Orientation pour l’Ecole de 2005, qui abandonne la culture commune au profit du concept réducteur de “socle commun de compétences et de connaissances”, reposant sur l’idée que « tous n’embrasseront pas une carrière dans le secteur de la nouvelle économie, de sorte que les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin » [OCDE 2001]. Les outils dérivés de cette loi et récemment imposés aux enseignants (socle commun, LPC…) sont donc bien loin des objectifs originels du concept de compétences devant favoriser l’élévation du niveau de formation de tous !