Décroché scolaire, déclassé social

Le décrochage scolaire inquiète : les pouvoirs publics en font
une grande cause nationale et cherchent à endiguer le flux croissant
de jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification.
Ces chiffres (140 000) sont la preuve que le système scolaire français échoue, laissant trop d’élèves sans bagages, sans sésame permettant
l’insertion professionnelle.
Quel avenir pour cette jeunesse déscolarisée et désoeuvrée ?
De quelle violence scolaire, familiale et sociale est-elle la preuve ?
Est-elle, à ce titre, une menace pour notre société ?

On sait l’effroi de la classe politique face à la révolte de la jeunesse. On se souvient encore des émeutes de 2005 et du trouble qui s’ensuivit au sein des pouvoirs publics : le plan Banlieues tente alors de juguler la colère d’une jeunesse sur la touche, méprisée par une société qui ne lui réserve aucune place. Si les dirigeants s’inquiètent de l’avenir de la jeunesse uniquement en termes d’ordre public, il est probable alors qu’ils ne proposent pas les bonnes réponses au malaise constaté.

Le décrochage est un phénomène complexe, aux causes multiples, qu’elles soient familiales, scolaires, sociales, ou toutes confondues. L’élève témoigne de comportements scolaires « non conformes » à ce que l’école attend de lui : absent, ou bien passif, désinvesti, ou encore rebelle, violent. Dans tous les cas, il est en rupture profonde avec le monde qui l’entoure et l’attention de tous est nécessaire, les collectifs (équipes pluriprofessionnelles) sont indispensables pour apporter des réponses au malaise constaté. Faire revenir un jeune à l’école, ce n’est pas le faire revenir sur le droit chemin, c’est avant tout conserver pour lui le cadre commun, celui qui lui permet de « faire société », de se construire avec ses pairs, de rencontrer et d’échanger et de ne pas basculer dans l’exclusion.

Des structures
pour raccrocher

L’institution ne pense la réponse qu’en termes de réparation et non de prévention. Le décrocheur est dirigé vers des structures alternatives au cursus ordinaire : quand il s’agit d’un collégien, vers un dispositif relais (atelier ou classe) pour un temps défini, mais ces dispositifs ne permettent qu’à la marge une rescolarisation réussie. Des structures dites de « seconde chance » (micro lycée, E2C) proposent aux élèves volontaires plus âgés de renouer avec les études et de suivre un parcours professionnalisant en alternance : peu nombreux, ces dispositifs ne concernent que peu de jeunes.

Le gouvernement ayant fait de la jeunesse sa priorité, avance d’autres propositions : des parcours « objectif-formation-emploi » personnalisés -chaque jeune étant suivi par un tuteur- qui reposent en grande partie sur des emplois aidés et sur le service civique de Martin Hirsch… Dans la continuité politique, par conséquent, du dernier gouvernement. La nouveauté réside en la mise en place d’une plate forme téléphonique permettant de « géolocaliser » les offres de formation… Peillon ne cherche donc pas à mettre un terme au décrochage scolaire, il réoriente les décrochés vers une hypothétique et précaire insertion professionnelle.

Autre objectif clairement affiché par Peillon : mettre en place une découverte professionnelle dès la classe de 6ème, ouvrant sur une découverte des métiers et des formations, avec un enseignement dispensé en grande partie par les entreprises et les organisations professionnelles ! Autrement dit, la solution au décrochage n’est pas l’entrée dans le savoir, mais l’entrée dans l’entreprise !

Une école pour apprendre,
comprendre le monde

Cela repose la question des finalités assignées à l’école : employabilité, utilitarisme, et donc, reproduction sociale ? Ou alors élévation des connaissances de toutes et tous, émancipation de chacun-e ? Cette école émancipatrice est celle de l’inclusion et chaque élève doit y avoir sa place.
La question du décrochage doit se poser en amont, en termes de prévention : en cela, l’école a des responsabilités importantes car elle doit s’adresser à tous, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Quel que soit le degré ou la nature de la rupture dont souffre le/la jeune, il doit pouvoir « entrer par les savoirs » dans cette école commune.

Il faut donc actionner deux leviers : d’une part, mettre en place des savoirs accessibles, cohérents qui font sens pour les jeunes. L’école commune doit donc être polyvalente, aborder des champs variés, y compris technologiques, et rompre avec les filières sélectives socialement marquées. D’autre part, il faut se poser la question des pratiques pédagogiques, et donc des conditions de travail et d’études propres à développer des pratiques démocratisantes. Le décrochage est un symptôme d’échec de notre système scolaire, nous ne devons pas le tolérer. C’est aussi l’antichambre de l’exclusion sociale, avenir que nous ne devons pas accepter pour notre jeunesse.

Orientation scolaire,
décrochage, décentralisation
et entreprises

C’est dans ce contexte que le gouvernement actuel décide, via l’acte III de décentralisation, de transférer la compétence orientation aux régions. Ainsi l’orientation qui était scolaire, sera fondue dans un « service public régional d’orientation » mêlant Pôle Emploi, Missions Locales, mais aussi dans certaines régions CCI et autres officines privées !

Ce service qui n’aura plus de public que le nom, opérerait auprès de publics scolaires mais aussi et surtout de publics adultes ! Les conseillers d’orientation-psychologues ont jusqu’alors un rôle préventif, d’accompagnement et de suivi individuel et collectif, des élèves dès la classe de 6ème. Ce rôle est clairement réorienté vers un objectif d’insertion professionnelle immédiate, à l’échelle régionale !

Autrement dit, il y a fort à parier que, pour pallier le décrochage et permettre une mise en emploi rapide, une adéquation entre le nombre de places vacantes dans telle ou telle filière en lycée professionnel par exemple, et les souhaits d’orientation des familles, soit fortement souhaitée, voire devienne un objectif.

La lutte contre le décrochage risque fort de s’apparenter à une chambre de pression des élèves et des familles pour choisir ce qu’on leur donne, au détriment d’un travail plus souterrain de suivi individuel des élèves, de prévention, et d’accompagnement de projets. Citons l’article 23 du projet de loi d’orientation, qui modifie l’article L.331-7 du Code de l’Education : « L’orientation et les formations proposées aux élèves tiennent compte de leurs aspirations, de leurs aptitudes et des perspectives professionnelles liées aux besoins prévisibles de la société, de l’économie et de l’aménagement du territoire ». On ne saurait être plus clair, notamment lorsque l’on sait, comme on l’a dit plus haut, que le projet de loi de refondation donne aux entreprises et aux organisations professionnelles le pouvoir d’enseigner aux élèves. Citons la suite de l’article 23, modifiant le L.331-7 du Code de l’Education : « Il [le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel] est défini sous la responsabilité du chef d’établissement et avec l’aide des parents par les enseignants, les personnels d’orientation et les autres professionnels compétents. Les administrations concernées, les collectivités territoriales, les organisations professionnelles, les entreprises et les associations contribuent à la mise en oeuvre de ce parcours. ».

On le voit bien : la décentralisation alliée à la réforme de l’Ecole, est le tremplin vers une appropriation, par les entreprises et le marché du travail, de l’orientation scolaire.

La deuxième phase de cette décentralisation sera d’ailleurs la main mise des Régions sur les lycées professionnels, toujours en adéquation avec l’emploi et les lobbys patronaux locaux pour l’ouverture et la fermeture de filières.
Le gouvernement Ayrault réalise ainsi le rêve des gouvernements de droite précédents. Il change le paradigme de l’Ecole en la transformant en un simple sas ayant pour objectif d’accroître la compétitivité de la France (page 49 du projet de Loi) et de réduire le chômage.

Nous pensons au contraire que l’Ecole n’est pas là pour donner de la ressource humaine aux entreprises, mais pour permettre à tout un chacun de s’émanciper, trouver sa voie en toute liberté, par et grâce aux apprentissages.

David Coulon et Véronique Ponvert