Collège : une autre réforme est possible !

L’actualité est à la réforme
du collège. Se présentant comme
la défenseure de l’égalité démocratique pour les élèves,
la ministre présente en fait
un projet qui va accentuer
la différenciation de scolarité et renforcer l’autorité des chefs d’établissement. Ce qui explique l’appel unitaire à la grève du 19 mai.

Le ministère fait du collège le grand malade de l’Éducation nationale où se concentrent toutes les difficultés. Il n’hésite pas dans ses annonces à tordre les chiffres issus des évaluations internationales. Par exemple, les compétences de base en français diminueraient aux cours de la scolarité au collège alors que 80 % des élèves les maîtrisent en fin de CM2 et 79 % en fin de troisième. Les difficultés sont bien réelles mais sont souvent apparues en amont.Contredire les mensonges de la ministre ne doit pas nous faire minimiser l’échec du collège unique, conçu lors de la réforme Haby de 1975. Il n’a pas réussi à accueillir tous les élèves d’une classe d’âge dans les mêmes classes (de nombreux dispositifs écartent des élèves de l’enseignement général : l’enseignement adapté par exemple – nécessaire et qui est aussi en débat en ce moment – mais pas seulement : classes relais, pré-apprentissages, etc. sont des dispositifs de mise à l’écart). Le collège ne permet pas les progrès scolaires de tou-te-s. Il ne permet pas non plus, tout comme l’école primaire de façon générale et le lycée après lui, de compenser les inégalités sociales d’accès à la culture et aux savoirs. De plus, le collège est souvent une grande machine à désespérer les élèves, notamment à travers les mécanismes de tri social qui y sont mis en œuvre, lors de l’orientation en fin de troisième par exemple. Les enseignants le constatent, en sixième, la majorité des élèves sont encore curieux d’apprendre. Cette envie est moins prégnante et se manifeste différemment en fin de troisième. L’adolescence change profondément les perceptions et les comportements des élèves. Mais le collège joue aussi un rôle dans la perte d’appétence des élèves pour les apprentissages. Cette question doit être creusée et nécessite un renforcement de la formation des professeurs.

La réforme du collège proposée aujourd’hui par la Ministre de L’Éducation nationale ne répond pas aux enjeux importants que sont le maintien de l’envie d’apprendre, la correction des difficultés sociales d’accès aux savoirs et à la culture, l’acquisition d’une culture commune de haut niveau pour tou-te-s.

Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) : la renaissance des IDD (Itinéraires de découverte)

Faire travailler ensemble différentes disciplines n’est pas nouveau et a déjà été mis en œuvre notamment à travers les IDD. Selon le même principe : prendre des heures aux disciplines, avec la possibilité que ce dispositif disparaisse un jour… et les heures avec ! Différence notable avec les IDD : les thèmes des EPI sont fixés nationalement et inscrits dans les programmes. Plusieurs risques existent dans cette nouvelle « autonomie » des établissements, l’organisation des EPI étant décidée localement : une adaptation accrue des exigences aux publics accueillis et la mise en concurrence des établissements dans une démarche analogue à celle connue par l’enseignement supérieur (absence de cadrage national des diplômes, définition des contenus université par université).

La création des EPI se faisant en ponctionnant les horaires disciplinaires à hauteur de 20 %, il s’agit également d’une mise en concurrence des disciplines (et donc des professeurs). Qui aura son horaire disciplinaire le plus ponctionné ? Qui ira de ce fait créer un EPI de gré ou de force ? Qui verra son poste complété ou ira au contraire compléter son service dans un autre établissement selon les desiderata du/de la chef-e d’établissement ? De fait, cette variable d’ajustement pourra constituer un instrument de « gestion des ressources humaines » pour les principaux/pales de collèges.

Menaces sur le collège unique

Un des dangers principaux de cette réforme apparaît à l’article 10 du projet d’arrêté adopté au Conseil supérieur de l’Éducation, qui stipule que « l’établissement peut moduler de manière pondérée la répartition du volume horaire hebdomadaire par discipline, dans le respect à la fois du volume horaire global […] pour la durée du cycle, du volume horaire global horaire annuel des enseignements obligatoires ». Ici réside une menace supplémentaire sur le caractère national de la scolarité au collège : selon le collège qu’il fréquente, un élève pourra ne pas avoir le même nombre d’heures dans toutes les disciplines. Dans les faits, qui jugera du caractère « pondéré » des modulations ? Et s’il est possible de modifier les répartitions tous les ans, comment assurer le volume horaire global sur le cycle pour tous les élèves ?

Au passage on notera les glissements quant au calcul des heures « dues » au élèves. On passe d’un calcul hebdomadaire à un calcul annuel voire sur le cycle… Une façon de préparer le terrain pour l’annualisation du temps de travail des enseignants ?

Menaces sur les langues minoritaires et anciennes :

La suppression des dispositifs bilangues et des classes européennes vient diminuer le nombre d’heures de langues vivantes dispensées à une partie des élèves. La création de la LV2 dès la cinquième ne compense pas cette perte d’heures. Avec 2,5 h de cours de LV2 par semaine les apprentissages seront difficiles : aucune acquisition sérieuse ne sera possible. La suppression prévue initialement des options de latin et de grec ancien a été annulée en apparence. Cette option sera toujours proposée, mais sur les ressources propres de l’établissement. Son existence dépendra donc principalement de la volonté locale du chef d’établissement de la maintenir. Ne nous trompons pas sur la nature de ces mesures : la ministre communique sur l’égalité qui serait rétablie. Ces dispositifs et options créeraient trop de ségrégation entre les divisions et les établissements. On peut aussi analyser les choses différemment : dans la plupart des collèges populaires (ou mixtes socialement) ces structures existent en tentant de minimiser la différence de niveau qu’elles peuvent créer entre des parcours privilégiés d’élèves et des parcours au rabais. Leur suppression obère dans ces établissements tout accès possible des classes populaires à ces éléments de culture auxquels la bourgeoisie continuera d’accéder, dans le privé notamment. Sur ce point, il est notable que la première ségrégation contre laquelle il faudrait lutter est celle créée par l’existence des établissements privés sous contrat et celle des inégalités instituées par les découpages de la carte scolaire. Une avancée réelle dans une réforme serait de permettre à tou-te-s d’accéder à ces éléments de culture, au sein d’enseignements disciplinaires, sans créer des parcours privilégiés pour les familles les mieux outillées scolairement.

De nombreuses disciplines,
un handicap pour le collège ?

Associée au maintien de l’existence du socle commun institué par la loi Fillon de 2005 et à la réforme des programmes, cette réforme semble vouloir mettre au goût du jour l’idée rétrograde de l’école du socle, chère à la droite. En modifiant les statuts des enseignants, en modifiant les rythmes scolaires, en instituant le conseil CM2-6ème, le conseil de cycle 3… les ministres successifs sont bien décidés à transformer les professeurs des écoles et des collèges en professeurs du socle commun dont la spécialité disciplinaire aurait peu d’importance : pour preuve les différents regroupements de disciplines qu’opère la réforme (disciplines scientifiques, disciplines artistiques…).

Une réforme pas isolée

Le projet de réforme du collège est accompagné d’un certain nombre d’autres annonces :
✓Renforcement de l’autorité du/de la principal-e à travers les nouvelles Obligations réglementaires de Service (O.R.S.)
✓Institution de hiérarchies intermédiaires : renforcement des rôles et pouvoirs du conseil pédagogique et des coordonnateurs de disciplines, de cycle et de niveau ainsi que des référents (missions reconnues grâce aux indemnités pour missions particulières I.M.P.).
✓ Le numérique semble devenir une fin en soi plutôt qu’un outil pour apprendre.
∙✓ Le futur collège devra faire la part belle à l’Éducation morale et civique (EMC) avec l’objectif de mettre en place des actions de « formation du futur citoyen et [de] promotion des valeurs de la République et de la laïcité [qui] sont inscrites systématiquement dans les projets d’établissement ».

Dans tous ces domaines, il est à noter que ce gouvernement. poursuit les mêmes lunes que ses prédécesseurs de droite !

Cette réforme ne permet pas de répondre aux difficultés actuelles du collège dont le premier problème reste l’état de délabrement issus des suppressions de postes massives de ces dernières années. Une forte mobilisation est donc nécessaire pour le retrait de cette réforme.

Cependant, ce projet doit être pour l’École Émancipée l’occasion de revisiter cette question : quel collège voulons-nous ? Le collège du futur, indissociable d’une autre société à construire, sera bien différent du collège libéral et du collège sous tutelle de l’État : l’autogestion, les enseignements polytechniques sont à réfléchir bien loin de l’adaptation aux marchés locaux du travail voulue par l’école du socle… ●

Clément Lefebvre,
Loïc Saint Martin.